Peter
Jackson a toujours affirmé que c’est la découverte de la première version de King-Kong (Ernest B. Schoedsack et
Merian C. Cooper, 1933) qui a déterminé sa carrière de cinéaste. Effectivement
sa version de 2005 est un véritable hommage à l’œuvre originelle faisant écho à
ce premier grand mythe cinématographique incarné par une créature légendaire.
De multiples citations jalonnent le très long-métrage (3h21) jacksonien, comme
celle de la danse de la tribu offrant une jeune femme en sacrifice au dieu
Kong. Dans la version de 1933 (photogramme 1), sur une île inexplorée, perdue
au large de Sumatra, des hommes revêtus de peaux de gorille dansent autour
d’une victime sacrificielle sous les yeux du reste de la tribu et de son chef
au centre (Noble Johnson), reconnaissable à sa coiffe emplumée. Dans ce territoire
hostile et sauvage, et derrière une palissade en bois visible à l’arrière-plan,
règne un gorille gigantesque, un roi inaccessible et redouté dont la colère ne
peut être apaisée que par des offrandes humaines toujours renouvelées. Un abîme
prodigieux de temps immémorial et d’espace inhospitalier baigne ce rituel. Pleine
de solennité et teintée de religiosité, cette cérémonie païenne, consacre
l’union entre la tribu et son dieu. La jeune femme agenouillée et inquiète,
revétue de guirlandes de fleurs, est là pour répondre à l’appel du sang. Les
tambours et une musique extradiégétique dramatique font entendre un battement
régulier, lancinant jusqu’à la transe, évocateur d’un pouls effréné. Les danseurs
se balancent de gauche à droite et leurs mouvements cadencés sont accompagnés
par le son que font à intervalles réguliers leurs poings frappant leurs
poitrines à l’instar des grands primates cherchant à intimider leur adversaire.
Le noir et blanc confère enfin au plan une aura mystérieuse et fascinante renvoyant
au romans de Jules Verne (L’Île
mystérieuse, 1875) ou de Conan Doyle (le
Monde perdu, 1912). La même scène est reprise dans la version de 2005. Même
époque (les années 30), même musique,
mêmes danseurs, mais sans victime sacrificielle cette fois-ci, si ce n’est King
Kong lui-même, dans un singulier retournement de situation. Mais à l’inverse de
celle de 1933, cette danse n’est plus qu’une mascarade, un spectacle de
music-hall dans une grande salle de New-York, à destination d’un public avide
d’exotisme et de frayeur (photogramme 2). Des explorateurs ont capturé et
ramené King Kong aux États-Unis pour l’offrir, enchaîné, aux regards de tous.
Le corps affaissé et les bras maintenus en l’air à l’aide de solides chaînes,
Kong semble indifférent à ce qui se joue autour de lui. Les peaux de gorille
sont ici des costumes et les danseurs, des acteurs d’emprunt jouant un rôle. Le
mystère du rite primitif, cette aspiration à l’archaïsme, ont disparu et cette
reconstitution, forcément fausse, donne à voir une image pathétique, non pas du
grand singe, mais des personnages de pacotille qui s’agitent sur la scène et particulièrement
celui de Bruce Baxter (Kyle Chandler), l’explorateur au premier plan, revétu du
casque colonial, ramené à une véritable figure de mode. Sans innover par
rapport à la première version, Peter Jackson, en thuriféraire assumé de l’œuvre
de Schoedsack et de Cooper, approfondit le déracinement de King Kong, offert en
pâture à la rapacité et à l’âpreté au gain des hommes, des hommes voyeurs et incapables
de réaliser qu’ils ont commis un sacrilège en déportant le grand singe hors de
son environnement naturel.
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