À
droite du photogramme, un genou à terre, Brady Blackburn (Brady Jandreau jouant
son propre rôle) est un cowboy d’origine sioux lakota vivant sur la réserve de
Pine Ridge dans le Dakota du Sud. À la suite d’un grave accident à la tête
survenu lors d’un bronco riding (monte d’un cheval sauvage), il lui est désormais
interdit de poursuivre son rêve de devenir un champion de rodéo. Désoeuvré, en proie à une désespérance morale
intense, son quotidien est toutefois illuminé par les visites qu’il rend à un
autre cowboy encore plus meurtri que lui : Lane Scott (Lane Scott qui joue lui
aussi son propre rôle ?), assis, à gauche, en équilibre instable sur sa selle. N’arrivant
plus à articuler une phrase de manière intelligible, le regard perdu et hagard,
et tirant de manière désordonnée sur les rênes que lui tend Brady, Lane
séjourne dans l’hôpital de la réserve, sans espoir d’en ressortir. Les deux
hommes sont dans une salle de rééducation. Un déambulateur et un fauteuil
roulant à l’arrière-plan montrent qu’outre la tête, c’est aussi la moelle
épinière de Lane qui a été touchée. Paraplégique, il renvoie à Brady l’image
d’un enfermement psychique à la mesure du drame qu’il a subi. Brady tente de
lui transmettre ce qui lui reste d’énergie et de passion, à la recherche de
cette étincelle de vie qu’il pourrait percevoir dans les yeux de Lane. Mais en
mimant, chacun à leur manière, et de façon dérisoire, les gestes du cavalier
chevauchant une monture imaginaire, Brady et Lane nous rappellent d’autres rodeo riders que Sam Peckinpah (Junior Bonner, le dernier bagarreur/Junior Bonner, 1972) et Stuart Millar (Quand meurent les légendes/When
the Legends Die, 1973) avaient déjà filmés sur le même ton crépusculaire et
désenchanté, des perdants, fussent-ils magnifiques, immolés sur l’autel de la
geste idéalisée westernienne. En effet, le mythe du cowboy chevauchant
fièrement son destrier à travers les grandes plaines de l’Ouest américain se
fracasse ici contre le réel, dur et âpre, un réel dans lequel l’homme ne domine
plus l’animal, mais finit au contraire désarçonné, piétiné et brisé. Dans The Rider (2018), Chloé Zhao filme le
quotidien désillusionné d’hommes déchus de leurs ambitions et dont les plaies
les plus graves ne sont pas les plus apparentes, particulièrement pour Brady. Le
sourire qu’il arbore au coin des lèvres contredit le deuil qu’il entame lentement
vis-à-vis de lui-même. Désormais, incapable de maîtriser son destin, Brady
tente, envers et contre tout, de transfigurer sa douleur dans une quête
d’identité improbable. S’il est aussi empathique vis-vis de Lane, c’est aussi
parce que celui-ci est le seul sur la réserve à ne pas lui renvoyer un regard
compatissant. Dans cette pièce aux couleurs froides dans lesquelles domine le
bleu, couleur liée au rêve, Chloé Zhao film avec une infinie mélancolie deux
hommes qui jouaient l’aventure de l’Ouest en pensant porter un héritage
américain dans lequel l’individualisme, l’ascension sociale et la liberté
étaient les références ultimes.
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