Misanthrope
revendiqué et assumé, Monsieur Hire (Michel Simon) habite un petit appartement d’un
hôtel meublé. Ignorant superbement le genre humain, il vit à côté des autres,
sans se mêler aux conversations de ses voisins si ce n’est pour exposer son
point de vue cynique et désabusé sur le monde et les hommes qui le peuplent. Il
vit en solitaire, excentrique aux yeux des autres, sans s’apercevoir que cette
solitude finit par réduire son existence au vide en desséchant son cœur et sa
conscience. Un soir pourtant, il aperçoit par la fenêtre, dans un appartement
qui jouxte le sien, une jeune femme, Alice (Viviane Romance), dont il tombe
immédiatement amoureux. À moitié caché par les rideaux qui coupent la fenêtre
en deux, Monsieur Hire guette , tous les soirs, la rentrée d’Alice et observe d’un
air aussi mélancolique qu’énamouré, les allées et venues de celle qui à cet
instant lui redonne subitement goût à la vie. La photographie en clair-obscur de
Nicolas Hayer souligne la silhouette immobile de Monsieur Hire, lui donnant une
dimension ambigüe, incertaine quant au devenir de ses émotions vitales qu’il
pensait avoir enterrées depuis longtemps. La lumière tamisée vient de l’intérieur
de sa chambre pour révéler le contraste entre le réel (Monsieur Hire, seul
devant sa fenêtre) et son espace mental (son désir pour Alice). L’ombre masquant la moitié de son visage crée donc
un déséquilibre, un malaise, puisqu’il
est en train d’épier celle qui incarne et matérialise tous ses fantasmes. La
contreplongée ne fait qu’accentuer cette appréhension comme pour nous rappeler
qu’en dépit de sa position dominante, Monsieur Hire n’est en fait que le jouet
d’une manipulation, ourdie par Alice et son amant, pour accuser Monsieur Hire
d’un crime qu’il n’a pas commis. À l’instar de Pépé le Moko (Pépé le Moko, Julien Duvivier, 1937) ou
de Jean, le déserteur de Quai des Brumes
(Marcel Carné, 1938), tout dans ce plan rappelle le réalisme poétique des
années 30 : un paria dont l’itinéraire est marqué du sceau de la fatalité,
le surgissement de l’amour capable de transfigurer les êtres, un environnement urbain
et populaire et un héritage esthétique issu de l’expressionnisme allemand des
années 20 et caractérisé par un jeu d’oppositions entre ombre et lumière. Si
toute la conception pessimiste du monde de Julien Duvivier se retrouve dans son
film Panique (1946), que penser de
celle de Michel Simon ? A-t-il à l’esprit à ce moment-là, sa convocation devant
une commission d’épuration l’année précédente, parce qu’il avait joué en 1943
dans Au Bonheur des dames d’André
Cayatte pour la Continental, une maison de production créée par Joseph Goebbels
ou encore, en 1944 dans le Portier du
paradis, une pièce de théatre écrite par un dramaturge pronazi, Eugène
Gerber ? Il n’a jamais accepté cette accusation qu’il s’obstinait à considérer comme
fondamentalement injuste.Toujours est-il que sa misanthropie affichée dans sa
vie privée (il affirmait préférer la compagnie de sa guenon prénommée Zaza à
celle des hommes) rejoint celle de Monsieur Hire, dans une vertigineuse représentation
d’un homme victime de sa passion pour une femme.
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