mardi 1 mai 2018

La prison chez Scott Cooper



Dans ce plan extrait du film Hostiles de Scott Cooper (2018), les barreaux de cette prison séparent tout autant deux adversaires que deux civilisations. À gauche, le capitaine Joseph Blocker (Christian Bale), officier belliciste de l’armée des États-Unis, raciste convaincu et massacreur d’Indiens depuis des décennies, est à la veille de prendre sa retraite. À droite, du mauvais côté de la barrière, le vieux chef cheyenne Yellow Hawk (Wes Studi), mourant, atteint d’un cancer, est emprisonné depuis sept ans avec sa famille dans la  prison du fort Berringer au  Nouveau-Mexique, en plein milieu d’un désert. Originaire du Montana, il a manifestement été déporté avec sa famille et d’autres membres de sa tribu dans une contrée qui ne ressemble en rien aux forêts du Montana. Son vœu le plus cher est d’aller mourir sur la terre de ses ancêtres. John Ford avait déjà filmé dans Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964) cette thématique mortifère du retour vers la terre natale du Wyoming. Vaincus, brisés, niés jusque dans leur existence même, assimilés à des sauvages, et à l’instar de toutes les tribus amérindiennes du continent, les Cheyennes ont déjà entamé le crépuscule de leur vie d’hommes et de femmes libres. À quoi peut bien penser Yellow Hawk à ce moment-là ? Aux chevauchées de sa jeunesse, chassant les bisons dont les sabots, par millions, martelaient encore, dans un grondement assourdissant, les immenses terres herbeuses des Grandes Plaines ? Au fracas des affrontements contre l’armée américaine et les colons qui s’entendaient pour le spolier de sa terre, de sa culture et de son mode de vie ? C’est cette frontière entre le réel et les réminiscences du passé qui crée le traumatisme dans lequel est immergé le chef cheyenne. En dépit de la maladie qui le ronge, Yellow Hawk reste digne, silencieux et impavide, sans un regard pour celui qui le déteste et qui l’a pourchassé toute sa vie. Le capitaine Blocker, quant à lui, regarde son ancien adversaire avec tout le mépris qui le caractérise. Il ne cherche aucune confidence, ne lui pose aucune question mais reste abasourdi par l’ordre que lui a imposé sa hiérarchie de l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure, plus au nord, à des milliers de kms de là. Un genou à terre, il semble sonder les pensées de Yellow Hawk, tout en cherchant à matérialiser et à personnifier l’absurdité de sa tâche, lui qui a combattu les Indiens toute sa vie en participant notamment en 1890 au massacre de Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, massacre au cours duquel 300 Lakotas Minniconjous, hommes, femmes et enfants périrent sous la mitraille des obusiers du 7e régiment de cavalerie. L’action du film se passe en 1892, et cela fait maintenant deux ans que les guerres indiennes sont terminées sans que le sang répandu par l’armée américaine n’ait séché. Celui-ci imbibe encore toute la terre des États-Unis, de l’Atlantique au Pacifique, pour se confondre avec les fantômes du passé qui hantent désormais  le paysage. La geôle dans laquelle croupit Yellow Hawk raconte de manière fulgurante, en opposant le bourreau – désormais inutile - à sa victime, les humiliations et la violence  que subirent les peuples autochtones de la part du pouvoir blanc. À l’instar d’un Kevin Costner (Danse avec les loups/Dances with Wolves, 1992), mais sur un ton beaucoup plus noir et désespéré qu’élégiaque, Scott Cooper fouaille à son tour la plaie de la faute originelle de la Conquête de l’Ouest.



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