Dans
ce plan extrait du film Hostiles de
Scott Cooper (2018), les barreaux de cette prison séparent tout autant deux
adversaires que deux civilisations. À gauche, le capitaine Joseph Blocker
(Christian Bale), officier belliciste de l’armée des États-Unis, raciste
convaincu et massacreur d’Indiens depuis des décennies, est à la veille de
prendre sa retraite. À droite, du mauvais côté de la barrière, le vieux chef
cheyenne Yellow Hawk (Wes Studi), mourant, atteint d’un cancer, est emprisonné
depuis sept ans avec sa famille dans la
prison du fort Berringer au
Nouveau-Mexique, en plein milieu d’un désert. Originaire du Montana, il
a manifestement été déporté avec sa famille et d’autres membres de sa tribu
dans une contrée qui ne ressemble en rien aux forêts du Montana. Son vœu le
plus cher est d’aller mourir sur la terre de ses ancêtres. John Ford avait déjà
filmé dans Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964) cette thématique mortifère
du retour vers la terre natale du Wyoming. Vaincus, brisés, niés jusque dans
leur existence même, assimilés à des sauvages, et à l’instar de toutes les
tribus amérindiennes du continent, les Cheyennes ont déjà entamé le crépuscule
de leur vie d’hommes et de femmes libres. À quoi peut bien penser Yellow Hawk à
ce moment-là ? Aux chevauchées de sa jeunesse, chassant les bisons dont les
sabots, par millions, martelaient encore, dans un grondement assourdissant, les
immenses terres herbeuses des Grandes Plaines ? Au fracas des affrontements
contre l’armée américaine et les colons qui s’entendaient pour le spolier de sa
terre, de sa culture et de son mode de vie ? C’est cette frontière entre le
réel et les réminiscences du passé qui crée le traumatisme dans lequel est
immergé le chef cheyenne. En dépit de la maladie qui le ronge, Yellow Hawk
reste digne, silencieux et impavide, sans un regard pour celui qui le déteste
et qui l’a pourchassé toute sa vie. Le capitaine Blocker, quant à lui, regarde
son ancien adversaire avec tout le mépris qui le caractérise. Il ne cherche
aucune confidence, ne lui pose aucune question mais reste abasourdi par l’ordre
que lui a imposé sa hiérarchie de l’accompagner jusqu’à sa dernière
demeure, plus au nord, à des milliers de kms de là. Un genou à terre, il semble
sonder les pensées de Yellow Hawk, tout en cherchant à matérialiser et à
personnifier l’absurdité de sa tâche, lui qui a combattu les Indiens toute sa
vie en participant notamment en 1890 au massacre de Wounded Knee, dans le
Dakota du Sud, massacre au cours duquel 300 Lakotas Minniconjous, hommes,
femmes et enfants périrent sous la mitraille des obusiers du 7e
régiment de cavalerie. L’action du film se passe en 1892, et cela fait
maintenant deux ans que les guerres indiennes sont terminées sans que le sang
répandu par l’armée américaine n’ait séché. Celui-ci imbibe encore toute la
terre des États-Unis, de l’Atlantique au Pacifique, pour se confondre avec les
fantômes du passé qui hantent désormais le paysage. La geôle dans laquelle croupit
Yellow Hawk raconte de manière fulgurante, en opposant le bourreau – désormais
inutile - à sa victime, les humiliations et la violence que subirent les peuples autochtones de la
part du pouvoir blanc. À l’instar d’un Kevin Costner (Danse avec les loups/Dances
with Wolves, 1992), mais sur un ton beaucoup plus noir et désespéré
qu’élégiaque, Scott Cooper fouaille à son tour la plaie de la faute originelle
de la Conquête de l’Ouest.
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