samedi 14 avril 2018

Le trappeur chez Alejandro Inarritu





Le plan-séquence qui ouvre Le Revenant (The Revenant, 2015) d’Alejandro Inarritu dure un peu moins de 4mn et nous plonge, in media res, dans une rivière qui serpente à travers une forêt,  quelque part tout au nord de cette Louisiane achetée à la France de Bonaparte en 1803 par le Président américain Thomas Jefferson et qui correspond aujourd’hui au Dakota du Nord. La caméra avance doucement en suivant les méandres de ce cours d’eau qui recouvre le sol sur une grande étendue et dont seul le doux clapotis vient troubler le silence sépulcral de cette forêt (photogramme 1). Pendant de longues secondes, dans ce labyrinthe sylvestre, il ne se passe rien, si ce n’est cette inexorable reptation de la caméra nous faisant remonter les entrelacements de cette vaste étendue d’eau ruisselante. Puis soudainement, sans crier gare, le canon d’un fusil, puis un deuxième, précédent l’entrée dans le champ de deux hommes, deux trappeurs qui avancent avec beaucoup de précautions, le corps courbé et le doigt sur la gâchette. Nous ne voyons, dans un premier temps, que leurs jambes, puis leurs dos (photogramme 2). Puis ils dépassent la caméra pour se retrouver en pointe, progressant dans l’eau froide, portés par leur instinct de coureurs de pistes. Très graduellement, l’aube naissante commence à s’infiltrer à travers les arbres et la rosée du matin pour venir saluer leur cheminement muet. Ils portent leurs fusils, canons pointés vers le bas, avancent sans se presser, jetant un coup d’œil, de temps à autre, sur les côtés et sur l’arrière, comme pour se garder des dangers – animaux ou Indiens hostiles - qui rôdent autour d’eux. Déterminés, sûrs d’eux, ils savent évoluer dans un espace sauvage et glacé que nous pressentons immédiatement comme hostile. Ils en connaissent tous les recoins, les moindres ondulations du sol, tous les sentiers pour les avoir déjà parcourus. Ces trappeurs sont les héritiers cinématographiques des explorateurs du film d’Howard Hawks, la Captive aux yeux clairs (The Big Sky, 1952), dans lequel Jim Deakins (Kirk Douglas) et Boone Caudill (Dewey Martin) remontaient le Haut Missouri pour ouvrir l’Ouest au commerce des fourrures. L’enjeu économique se superposait à une soif inextinguible de découvertes, d’aventures, de solitude et de liberté, pour des hommes souvent incapables de s’adapter à la civilisation et à ses lois. La caméra poursuit sa trajectoire pour tourner sur la droite et cadrer un troisième homme qui vient, à son tour, de surgir dans le champ (photogramme 3). Il s’agit de Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), qui reprend le rôle de Zachary Bass (Richard Harris) dans Le Convoi sauvage (Man in the Wilderness de Richard C. Sarafian, 1971) L’itinéraire de ces hommes, dans un espace naturel dénué de tout romantisme, questionne toujours la relation tourmentée qu’ils entretiennent avec la société qu’ils ont laissée derrière eux. C’est en retrouvant, au contact d’une nature toujours menaçante, une forme de primitivisme,  d’errance, mais aussi d’ensauvagement qu’ils renaissent à la vie. Dans Le Revenant, les trappeurs sont revêtus de vêtements confectionnés à partir de peaux d’animaux, ce qui souligne bien leur appartenance au monde animal. Ils sont ici dans leur milieu et se coulent, taiseux et vigilants, dans cette forêt, belle mais brutale, qui les renvoie à eux-mêmes et à leur quête. La caméra, toujours extrêmement mobile, finit par cadrer l’objet même de la présence des trappeurs: un orignal, à l’arrière-plan, masqué en partie par le brouilard bas et gris, s’abreuve au détour d’une courbe du cours d’eau, inconscient du drame qui est en train de se préparer (photogramme 4). Le panache à large envergure du cervidé , la taille impressionnante de son corps prolongé par de longues et fines pattes, en font une cible idéale, d’autant plus vulnérable qu’elle est immobile. Avançant sous le vent, Hugh et son fils Hawk (Forrest Goodluck) lèvent leurs fusils pour viser l’animal. La traque n’aura  pas été vaine puisque le gibier a été débusqué. La mort de l’orignal viendra dans un moment justifier l’existence des trois chasseurs.




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