jeudi 4 janvier 2018

L'omniscience chez Jerry Thorpe

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Ces deux photogrammes sont extraits du film de Jerry Thorpe, Le Jour des Apaches (Day of a Evil Gun, 1968), un western aussi singulier que séduisant. L’attaque par les Apaches d’un village dans lequel un groupe de Blancs s’est retranché est un archétype du genre. Hugo Fregonese (Quand les tambours s’arrêteront/Apache Drums, 1951) et John Sturges (Le Trésor du pendu/The Law and Jake Wade, 1958) s’étaient déjà pliés à cette figure de style à  haute valeur dramatique ajoutée. Jerry Thorpe filme cet affrontement de manière tout à fait originale. La séquence dure cinq minutes et la caméra cadre à plusieurs reprises, en plongée, ce plan de grand ensemble.Tout est immédiatement visible grâce à la profondeur de champ. Plus la distance est grande, plus le champ de vision est large, et plus les personnages apparaissent minuscules autour de ces habitations abandonnées en adobe et en bois, perdues au beau milieu du désert brûlant. Ce décor naturel, par son immensité et sa profondeur, réduit encore davantage tous les personnages qui se déplacent dans le cadre. Le photogramme 1 signale le début de l’attaque. Le groupe de déserteurs de l’armée américaine est en train de se disperser, alors que l’un des leurs gît sur le sol, mortellement blessé par une flèche. Simultanément, quatre groupes d’Apaches surgissent littéralement du désert pour courir le long des crêtes sableuses, opérant un vaste mouvement d’encerclement. Le spectateur est ici omniscient et son regard circule d’un groupe à l’autre, rendant l’action particulièrement dynamique. Ce dispositif cinématographique permet de dramatiser l’enjeu principal qui est de montrer, en même temps, assaillants et défenseurs ainsi que le piège dans lequel se trouve enfermé le groupe de soldats. Jerry Thorpe contourne le montage alterné en traitant tous les personnages de manière égale, sans hiérarchie, tout en incluant le spectateur  dans l’espace fictionnel grâce à la netteté du plan. Le photogramme 2 clôt la séquence. Deux autres cadavres de soldats ont rejoint le premier et gisent au milieu de la rue principale, alors que trois groupes d’Apaches sont en train d’évacuer leurs morts : celui de gauche, courant devant un bâtiment en ruines, celui sur le toit de la maison au premier plan, et le troisième, escaladant une dune avant de disparaître à l’horizon. L’utilisation systématique de la plongée écrase la scène et les belligérants tout en homogénéisant, dans sa continuité, la dramaturgie qui trouve ici son épilogue : les pertes sont lourdes de part et d’autre, l’affrontement a fait rage mais les armes se sont tues désormais pour laisser la place à un silence sépulcral. Le point de vue qui structure l’image est parfaitement équilibré entre l’absence de sons intra et extradiégétiques et la présence d’une tension visuelle entre un espace hostile et des hommes qui le traversent à leurs risques et périls. Dans ce décor inquiétant et par définition figé, tous ces personnages confrontés à la mort représentent des points d’appui pour le regard, offrant ainsi le maximum d’éléments susceptibles de saisir une action prise sur le vif. 



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