dimanche 21 janvier 2018

La mise en scène chez Elia Kazan


Dans Panique dans la rue (Panic in the Streets, 1950), Elia Kazan fait preuve d’une grande maîtrise de la mise en scène. Blackie (Jack Palance), un truand de la Nouvelle-Orléans, tente de fuir la police lancée à ses trousses en se mouvant péniblement sur les poutres d’un ponton bordant le Mississippi. Porteur du virus de la peste bubonique tout en l’ignorant, il doit être au plus vite retrouvé par les forces de l’ordre pour empêcher la contamination de toute la ville et par extension du pays. La mise en scène oppose deux mouvements contraires : celui de Blackie, vers la gauche, au niveau de l’eau, invisible aux yeux des policiers et celui vers la droite, des voitures et des motards sur le quai, à quelques centimètres au-dessus de la tête du fugitif. Blackie, fébrile et affolé comme une bête traquée suintant la peur, se déplace maladroitement, manque de tomber dans les eaux boueuses, se redresse, poursuit sa course fiévreuse et désespérée, rechute une nouvelle fois pour se relever enfin. Malade et peu fringant, il n’en fait qu’à sa tête et son corps, courbé le plus bas possible, tendu à l’extrême, menace de rompre à tout moment alors que les sirènes hurlantes de la police et les crissements de pneus retentissent au-dessus de lui. Visiblement, l’idée de se rendre ne vient aucunement à l'esprit. Pas moyen de reculer ni de jeter un rapide coup d’œil  sur l’agitation qui règne sur le port. La tension de la séquence provient de cette circulation du regard entre les deux pôles séparés par la poutre horizontale qui soutient l’embarcadère. Ce plan est purement objectif, car destiné exclusivement au spectateur puisque lui seul a connaissance de ce que les protagonistes de la séquence ignorent. Venu du théatre et à l’instar d’un Orson Welles, Elia Kazan place tous les éléments de son action dans le plan, associant le général (une traque sur les quais de La Nouvelle-Orléans) au particulier (Blackie haletant sur les poutres) dans une unité de temps, de lieu et d’action. Dans ce film noir, tourné en 1950 en pleine Guerre froide, il est bien difficile de trancher sur le fond du film. À travers la peste, Elia Kazan a-t-il voulu dénoncer le communisme ou le maccarthysme ? Lui qui avait adhéré au parti communiste en 1934, en a été exclu en 1936, mais n’avait pas encore dénoncé devant la Commission des Activités anti-américaines (il le fera le 10 avril 1952), les acteurs et réalisateurs communistes passés ou présents qu’il connaissait. En dépit de cette tache qui va le poursuivre toute sa vie, Elia Kazan laisse en héritage une exceptionnelle mise en scène, mêlant rigueur esthétique et violence sociale qui s’épanouira encore davantage dans Un Tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire, 1951), Sur les quais (On the Waterfront, 1954) ou encore La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, 1961).


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