1 Ford Rainey et Richard Widmark (au centre de l'image)
2 John Qualen, Ford Rainey et Willis Bouchey
Il s’agit ici de l’une des scènes les plus
violentes, les plus dramatiques, les plus âpres de tout le cinéma de John Ford.
Dans Les Deux cavaliers (Two Rode Together, 1961), un groupe de
pionniers participe au lynchage d’un jeune Comanche, Running Wolf (David Kent).
Laissant exploser son racisme et sa haine, une main tenant une bible et l’autre
un fusil, le révérend Henry Clegg (Ford Rainey) interpelle violemment le
lieutenant Jim Gary (Richard Widmark dans le photogramme 1) chargé de négocier
la restitution de prisonniers blancs kidnappés depuis de nombreuses années par
les Comanches. La famille blanche de Running Wolf semble reconnaître en lui, le
fils perdu jadis. Mais alors que la mère tente de lui couper les cheveux,
Running Wolf la tue. En réponse, à la lueur des torches et au nom d’une
vengeance primitive et expéditive, un groupe d’excités mené par le révérend
s’improvise juges, jurés et exécuteurs des basses œuvres. Cette séquence
nocturne rappelant les manifestations du Ku Klux Klan est d’une fulgurance et d’une morbidité étouffantes. Elle révèle l’âme
noire de ces pionniers qui prétendent, au nom de la religion, coloniser un
espace forcément hostile à leurs yeux. Alors que les colons le traînent sur le
lieu de son supplice, Running Wolf renverse une boîte musicale dont il
reconnait instantanément la mélodie qui s’en échappe. Quelques instants plus
tard, le corps de l’infortuné indien finit par se balancer au bout d’une corde
attachée à la branche d’un arbre (photogramme 2). Le fait que Running Wolf soit
finalement un Blanc dont l’enfance avait été manifestement bercée par cette
musique ne change rien au propos de Ford. Cherchant à dénoncer la violence aveugle à
l’égard des Indiens, le réalisateur fait de Running Wolf le double inversé de
Debbie Edwards (Natalie Wood), déjà kidnappée par les Comanches (La Prisonnière du désert/The Searchers, 1956) mais sauvée par son oncle Ethan Edwards (John Wayne). Running Wolf n’a pas la même chance : il est
la victime expiatoire de toutes les haines et le réceptacle du racisme des
Blancs, qui ne voient dans sa personne qu’un sauvage inapte à vivre de manière dite
civilisée. « Avec John Ford, le sauvage n’est jamais celui que l’on croit »
(1). Bien que renié par son auteur, Les
Deux cavaliers fait partie de ces œuvres tardives du maître qui, à l’instar
du Sergent noir (Sergeant Rutledge, 1960), de L’Homme
qui tua Liberty Valance (The Man who
shot Liberty Valance, 1962), ou encore des Cheyennes (Cheyenne Autumn,
1964), témoignent d’une certaine amertume mais aussi d’une lucidité par rapport
à la conquête de l’Ouest. Le massacre des Indiens, la ségrégation raciale dans
l’armée, la religion dévoyée (le patronyme du révérend Clegg renvoie à la
famille Clegg, une bande de hors-la-loi qui terrorise un convoi de pionniers
dans Le Convoi des braves, 1950),
sont autant de thèmes qui remettent en cause les mythes fondateurs de
l’Amérique tout en assurant une transition entre le western classique des
années 40/50 et le western crépusculaire de la fin des années 60.
(1) Les
Deux cavaliers, critique de Anne Dessuant dans Télérama, le 18 mars 2017.
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