Dans Du
sang dans le désert (TheTin Star/1957),
Anthony Mann met en scène un ancien shérif devenu chasseur de primes Morgan
Hickman (Henry Fonda) arrivant dans une petite ville de l’Ouest américain avec
le cadavre d’un hors-la-loi en travers de la selle d’un cheval, pour réclamer sa
récompense. Le moins que l’on puisse dire, est que son entrée ne passe pas
inaperçue. À l’instar d’un Orson Welles dans Citizen Kane (1940), Anthony Mann place tous les éléments de son intrigue
dans un même cadre démultiplié. Tout d’abord les limites du champ (ce qui est
visible à l’écran), avec au premier plan l’intérieur d’une pièce dans laquelle
déambule Morgan Hickman puis, au second plan, une fenêtre constituée de deux
cadres (voire de quatre) permettant de voir la rue à l’extérieur et les badauds
qui s’interrogent sur l’arrivée du chasseur de primes. Le cinéaste travaille
manifestement la composition dans le plan en jouant sur la profondeur de champ.
Plusieurs échelles visuelles, le plus souvent filmées en autant de
plans, sont fusionnées en un seul, dont la netteté permet ainsi de tout voir. L’œil du
spectateur, allant sans cesse de l’intérieur vers l’extérieur, peut donc saisir toute la dramaturgie qui est en train de se mettre en place. Morgan
Hickman est certes un chasseur de primes, c’est-à-dire un personnage peu
recommandable puisqu’il tue pour de l’argent, mais la seule présence d’Henry
Fonda, suffit à tempérer ce premier jugement négatif. Celui-là est à cette
époque très fortement associé à ses rôles d’homme épris de justice, de noblesse,
de bravoure et de paix : Vers sa
destinée (Young Mister Lincoln, 1939),
Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1940), La Poursuite infernale (My Darling Clementine, 1946) et surtout 12 Hommes en colère (12 Angry Men, 1957) avaient sanctuarisé
la réputation de l’acteur à Hollywood et dans l’esprit des spectateurs. Seuls
John Ford en 1948 (Fort Apache/Le Massacre de Fort Apache) ainsi que
Sergio Leone en 1968 (Il était une fois
dans l’Ouest/Once upon a Time in the
West) et dans une moindre mesure, toujours en 1968, Vincent McEveety (Les Cinq Hors-la-loi/Firecreek) oseront utiliser à
contre-emploi cet acteur en lui faisant jouer respectivement le
lieutenant-colonel Thursday, une brute galonnée massacreur d’Indiens, Franck,
un tueur d’enfants et Bob Larkin, un chef de gang, violent et sans scrupules. Dans
Du sang dans le désert donc, Morgan
Hickman ne peut être cet être vil et vénal qu’est un chasseur de primes. Le
premier enjeu du film est ainsi posé d’emblée : quelle est l’impérieuse
nécessité qui a pu pousser Morgan à devenir un paria aux yeux de ses
concitoyens ? Parce que c’est bien sous le sceau de la marginalité qu’il arrive
dans cette ville, sous les regards interrogateurs de ses habitants. À
l’arrière-plan, des groupes d’autochtones bien visibles se sont formés. Ils
constituent une foule méfiante qui dévisage ce messager de la mort tout en
mettant en valeur par opposition la solitude de Morgan Hickman. Ce ne sont pas
encore des villageois hostiles, mais leurs chuchotements et leurs conciliabules
en disent long sur leur opinion devant l’arrivée de cet homme, un étranger,
opérant en marge de la loi. Deux univers s’opposent donc dans un même plan :
un espace ouvert (la rue principale) en apparence civilisé mais travaillé par
des forces réactionnaires, et un espace fermé (le bureau du shérif local) dans
lequel se pose la question de la représentation de l’ordre : celle incarnée
par le jeune shérif inexpérimenté Ben Owens (Anthony Perkins), représentant
légal de la communauté que le chasseur de primes va rencontrer, et celle de
Morgan Hickman préférant rester un homme ivre de liberté et maître de ses
actes, soumis à sa seule moralité et non à celle d’un groupe. Du sang dans le désert est un western
passionnant.
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