mardi 8 août 2017

La composition dans le plan chez Anthony Mann


Dans Du sang dans le désert (TheTin Star/1957), Anthony Mann met en scène un ancien shérif devenu chasseur de primes Morgan Hickman (Henry Fonda) arrivant dans une petite ville de l’Ouest américain avec le cadavre d’un hors-la-loi en travers de la selle d’un cheval, pour réclamer sa récompense. Le moins que l’on puisse dire, est que son entrée ne passe pas inaperçue. À l’instar d’un Orson Welles dans Citizen Kane (1940), Anthony Mann place tous les éléments de son intrigue dans un même cadre démultiplié. Tout d’abord les limites du champ (ce qui est visible à l’écran), avec au premier plan l’intérieur d’une pièce dans laquelle déambule Morgan Hickman puis, au second plan, une fenêtre constituée de deux cadres (voire de quatre) permettant de voir la rue à l’extérieur et les badauds qui s’interrogent sur l’arrivée du chasseur de primes. Le cinéaste travaille manifestement la composition dans le plan en jouant sur la profondeur de champ. Plusieurs échelles visuelles, le plus souvent filmées en autant de plans, sont fusionnées en un seul, dont la netteté permet ainsi de tout voir. L’œil du spectateur, allant sans cesse de l’intérieur vers l’extérieur, peut donc saisir toute la dramaturgie qui est en train de se mettre en place. Morgan Hickman est certes un chasseur de primes, c’est-à-dire un personnage peu recommandable puisqu’il tue pour de l’argent, mais la seule présence d’Henry Fonda, suffit à tempérer ce premier jugement négatif. Celui-là est à cette époque très fortement associé à ses rôles d’homme épris de justice, de noblesse, de bravoure et de paix : Vers sa destinée (Young Mister Lincoln, 1939), Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1940), La Poursuite infernale (My Darling Clementine, 1946) et surtout 12 Hommes en colère (12 Angry Men, 1957) avaient sanctuarisé la réputation de l’acteur à Hollywood et dans l’esprit des spectateurs. Seuls John Ford en 1948 (Fort Apache/Le Massacre de Fort Apache) ainsi que Sergio Leone en 1968 (Il était une fois dans l’Ouest/Once upon a Time in the West) et dans une moindre mesure, toujours en 1968, Vincent McEveety (Les Cinq Hors-la-loi/Firecreek) oseront utiliser à contre-emploi cet acteur en lui faisant jouer respectivement le lieutenant-colonel Thursday, une brute galonnée massacreur d’Indiens, Franck, un tueur d’enfants et Bob Larkin, un chef de gang, violent et sans scrupules. Dans Du sang dans le désert donc, Morgan Hickman ne peut être cet être vil et vénal qu’est un chasseur de primes. Le premier enjeu du film est ainsi posé d’emblée : quelle est l’impérieuse nécessité qui a pu pousser Morgan à devenir un paria aux yeux de ses concitoyens ? Parce que c’est bien sous le sceau de la marginalité qu’il arrive dans cette ville, sous les regards interrogateurs de ses habitants. À l’arrière-plan, des groupes d’autochtones bien visibles se sont formés. Ils constituent une foule méfiante qui dévisage ce messager de la mort tout en mettant en valeur par opposition la solitude de Morgan Hickman. Ce ne sont pas encore des villageois hostiles, mais leurs chuchotements et leurs conciliabules en disent long sur leur opinion devant l’arrivée de cet homme, un étranger, opérant en marge de la loi. Deux univers s’opposent donc dans un même plan : un espace ouvert (la rue principale) en apparence civilisé mais travaillé par des forces réactionnaires, et un espace fermé (le bureau du shérif local) dans lequel se pose la question de la représentation de l’ordre : celle incarnée par le jeune shérif inexpérimenté Ben Owens (Anthony Perkins), représentant légal de la communauté que le chasseur de primes va rencontrer, et celle de Morgan Hickman préférant rester un homme ivre de liberté et maître de ses actes, soumis à sa seule moralité et non à celle d’un groupe. Du sang dans le désert est un western passionnant.


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