Dans une Amérique qui ne voit aucune
contradiction entre religion et armes à feu, le film de Mel Gibson, Tu ne tueras point (Hacksaw Ridge/2016) est un brûlot. En 1944, un objecteur de
conscience adventiste, Desmond T. Doss (Andrew Garfield) s’engage dans l’armée
au plus fort de la guerre dans le Pacifique, mais refuse, obstinément, au nom
de sa foi, de ses convictions et de sa morale, de porter une arme. Subissant
les vexations et les sanctions que lui infligent sa hiérarchie et les autres
appelés, il finit néanmoins par être affecté, en tant qu’infirmier, dans un
régiment qui se lance en 1945 à l’assaut de Hacksaw Ridge (la falaise du hachoir) sur l’île d’Okinawa. Sous le feu de
l’artillerie et des mitrailleuses japonaises, sans tirer un seul coup de feu, et
alors que son régiment a battu en retraite, Desmond Doss va soigner, évacuer et
sauver des dizaines de combattants laissés blessés sur le champ de bataille et
promis à une mort certaine. L’histoire d’un individu pris dans la tourmente de
la guerre est une figure récurrente du cinéma américain. Desmond Doss fait
immédiatement penser au sergent York (Sergeant
York de Howard Hawks/1941), mais reste fondamentalement opposé à un Chris
Kyle (American Sniper de Clint Eastwood/2014).
Si Alvin York (Gary Cooper) est déjà un objecteur de conscience et un pacifiste
convaincu, il accepte néanmoins de porter un fusil dans les tranchées de la
Première Guerre mondiale, alors que Chris Kyle (Bradley Cooper : deux
Cooper curieusement réunis sous un même patronyme, mais sans lien de parenté et
fortement antinomiques) est un tireur d’élite envoyé en Irak dans les années
2000 pour abattre tous les Irakiens, civils et militaires qui passent devant la
lunette de son fusil. Sur l’île d’Okinawa donc, et dans une atmosphère
cauchemardesque, cerné par les explosions et les balles qui sifflent autour de
lui, recroquevillé sur lui-même, le visage grimaçant sous l’effort, Edmond Doss
traîne un compagnon blessé pour le mettre à l’abri. Il semble vouloir
s’enfoncer dans cette terre labourée par la puissance de feu des troupes
japonaises, pour mieux se protéger de leurs projectiles. La fumée des explosions,
au deuxième plan, forme un écran qui rend l’ennemi invisible. Le champ de
bataille apparaît vide mais la mort vient de loin, anonyme, brutale,
effrayante, accentuant le phénomène de déshumanisation en cours. Ce sont les
convictions religieuses chevillées au corps de Desmond qui lui font supporter cette
dangerosité extrême. Rien d’étonnant de la part de Mel Gibson, fervent
catholique revendiqué et assumé depuis La
Passion du Christ (The Passion of the
Christ/2004). La lecture du film peut se faire à l’aune de la démarche
christique et patriotique d’Edmond, mais peut aussi être interprétée comme un
rejet viscéral des armes à feu. Dans un pays où circulent plus de 310 millions
de ces armes, l’attitude du personnage de Doss est un gigantesque pied de nez à
toutes les gâchettes vampirisées par la mystique du colt et de la winchester
héritée des pionniers, la longue tradition de l’autodéfense et surtout
l’omniprésence et l’omnipotence du lobby de la National Rifle Association qui,
forte de ses 5 millions de membres, court-circuite systématiquement toute
velléité de limiter la circulation de ces armes. Montrer une telle détestation
de la violence alors que l’enfer se déchaîne autour de Doss, n’est pas le
moindre paradoxe de ce film, faiblement récompensé aux Oscars
2017 (meilleur montage et meilleur mixage son).
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