Dans Desierto
(2015), Jonas Cuaron filme des Mexicains clandestins passant la frontière
états-unienne quelque part dans le désert de Sonora, au sud de la Californie.
Pris en chasse par Sam (Jeffrey Dean Morgan, glaçant), un red neck halluciné,
nationaliste et raciste qui ferait passer Hannibal Lecter pour un servant de
messe, ils meurent tous les uns après les autres, abattus par les balles du
sniper. Sur le modèle des Chasses du
comte Zaroff (The Most Dangerous Game, Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, 1932), Sam est un amoureux des bergers
allemands, des armes à feu et de la chasse au gibier humain, particulièrement
quand il est Mexicain. Moises (Gael Garcia Bernal, visible de dos sur le
photogramme) est l’un des derniers survivants de la traque qui se déroule sans
discontinuer sur une terre sauvage et immense, un espace désertique
particulièrement inhospitalier, une étendue répulsive constituée de cactus, de
poussière, de sable, de roches et de massifs montagneux qui bloquent l’horizon.
Alors que Sam vient de lancer son chien à ses trousses et face à cette forêt de
cactus qui se dresse devant lui, Moises semble implorer une ouverture des «
eaux » bien illusoire. Cerné par ces plantes xérophytes bardées d’épines,
Moises comprend rapidement qu’il peut faire de cet obstacle végétal, un refuge
pour se protéger des crocs de l’animal rendu fou par l’odeur du sang répandu
par ses précédentes victimes. Dans le silence du désert, entre néo-western et
thriller, Jonas Cuaron reprend en l’actualisant plus que jamais, le thème de la
frontière, espace de passage ou de fermeture, si souvent représenté dans le
cinéma américain. Lone Star (John
Sayles, 1996),Traffic (Steven
Soderbergh, 2000), Trois Enterrements (Tommy
Lee Jones, 2005), No Country for Old Men
(Les frères Coen, 2007), Frontera
(Michael Berry, 2014) et Sicario
(Denis Villeneuve, 2015) subliment d’abord un territoire désolé évoquant une
fournaise infernale, traversé au XIXe siècle par les flux migratoires des
colons venus peupler la façade Pacifique des États-Unis. Mais aujourd’hui, ce
paysage naturel est dénué de la valeur mythique que lui conférait autrefois le
western classique. Ce n’est plus un espace de liberté et de conquête
préfigurant la naissance d’une nation, mais un lieu d’affrontement culturel,
linguistique et économique sans merci.
Contrôler le désert est une question de pouvoir et de domination : consultant
de temps à autre des cartes, Sam s’y déplace en maître, quasiment les yeux
fermés, alors que Moises avance les yeux grands ouverts, mais dans l’inconnu et
sans aucun repère. La beauté et la sécheresse du paysage ne sont plus propices
à la contemplation, mais elles rendent plus terrible et plus tragique le drame
que vivent des milliers de Mexicains, cherchant l’Eldorado sur une terre qui ne
veut plus d’eux. Ce pessimisme noir contamine tout le film et le propulse sur
un terrain explicitement politique, faisant de l’Autre – le Mexicain – un homme
à abattre.
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