En dépit des grands espaces du Wyoming, du froid
glacial et du blizzard qui enveloppent tous les protagonistes de l’histoire, La Chevauchée des bannis (Day of the Outlaw de André de Toth/1959)
est un film fiévreux et oppressant. Au Wyoming donc, un groupe de hors-la-loi
pourchassé par la cavalerie américaine fait irruption dans un village coupé du
monde par la neige pour y séjourner quelques jours, le temps de reprendre des
forces. Pour préserver la population des turpitudes du gang, un éleveur de
bétail, Blaise Starrett (Robert Ryan) propose de guider les bandits à travers
la montagne pour franchir un col qui leur permettrait de s’enfuir. Mais cette
odyssée se transforme rapidement en chevauchée suicidaire, au cours de laquelle
tous les cavaliers finissent par mourir, à l’exception de Blaise Starrett
(visible, de dos et à cheval) et de Tex (Jack Lambert), en train d’agoniser sur
un promontoire rocheux, sa winchester à la main, terrassé par le froid et les
morsures du gel qui paralysent progressivement son corps. Un mouvement de grue
et l’élévation de la caméra au-dessus d’un paysage âpre et inhospitalier donnent
en plongée, toute la mesure de l’affrontement final entre les deux hommes. Mais
André de Toth renonce au duel classique, au face à face entre deux hommes, aux six-coups
prêts à être dégainés à la vitesse de l’éclair. Préfigurant la mort imminente
de son adversaire, Blaise Starrett, s’éloigne, recroquevillé sur son cheval qui
avance péniblement dans l’épaisseur profonde de la neige. Des rochers dispersés
et déchiquetés, ainsi qu’une forêt de sapins à l’arrière-plan, servent de
témoins muets à la dramaturgie qui trouve dans ce décor angoissant son
épilogue. Le silence des Rocheuses fige encore davantage cette étendue glacée
recouverte par le manteau neigeux qui rend plus difficile le déplacement des hommes
et des animaux. Jack, quant à lui, vient de passer une nuit dans
l’anfractuosité d’un rocher avec, comme seule protection, son manteau. Mais au
réveil, ses mains gelées, saisissant avec difficulté sa winchester sont incapables
de presser sur la détente. Il marche, tombe, se relève, rechute et rampe pour
tenter d’abattre Blaise Starrett. Le froid engourdit petit à petit tout son
corps rendant sa reptation aussi douloureuse qu’illusoire. Son corps finit par
s’immobiliser avant d’atteindre le sommet du promontoire pour ne former qu’une
vague silhouette, prête à être dévorée par les loups. Présenté pendant le film comme un dégénéré
concupiscent, Jack meurt comme il a vécu, misérable, rempli de haine, seul et prédestiné
à ne pas savourer une retraite bien méritée. Alors que pendant tout cet exode
hivernal, la profondeur de champ était extrêmement réduite par le blizzard,
l’horizon s’éclaircit subitement au petit matin, dans l’air calme et immobile, pour
laisser les rayons du soleil éclairer la scène d’une lumière spectrale. Désormais,
seul survivant de l’expédition, Blaise Starrett peut rejoindre l’îlot de
civilisation qu’il a laissé derrière lui. Crépusculaire, noir et
fondamentalement pessimiste sur la nature humaine, le film d’André de Toth
dépeint un univers de violence où la rédemption n’a plus sa place. Seules
comptent la brutalité, la survie, la mort reçue et donnée. Succédant à Track of the Cat de William Wellman
(1954), La Chevauchée des bannis
servira de matrice à de nombreux westerns hivernaux dont les plus proches dans
la noirceur sont John McCabe (McCabe et Mrs Miller de Robert
Altman/1971), Les 8 Salopards (Hateful Eight de Quentin Tarantino/2016)
ou encore Le Revenant (The Revenant de Alejandro Inarritu/2016).
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