Dans Libre
comme le vent (Saddle the Wind/1958),
deux frères, Steve (Robert Taylor de dos) et Tony Sinclair (John Cassavetes,
face à lui) se retrouvent dans cette figure imposée du western : le duel
et la catharsis qui s’y rattache. L’échelle
des plans utilisée accentue le décalage entre le cadre et les personnages qui y
évoluent. À gauche de l’image, filmé en plan américain (à la hauteur du colt), Steve
est en position de force. Il domine son frère Tony réduit, par la profondeur de
champ, à une silhouette minuscule, lointaine et fragile. Les deux frères se
positionnent dans un plan général (photogramme 1) qui a toujours une valeur
descriptive, cadrant une topographie tout à fait originale et rarement utilisée
dans un western: ce ne sont ni les hommes, ni le versant très accentué de la colline, ni
cette plaine qui s’étend à perte de vue en contrebas et encore moins les
montagnes du Colorado à l’arrière-plan qui attirent notre regard, mais ce qui
focalise notre attention est ce champ de bruyère, bucolique et tranquille qui
encercle les deux protagonistes. Très éloignées des décors arides et montagneux
symbolisant l’âpreté de la Conquête de l’Ouest et la difficile synergie entre
l’homme et la nature, ces plantes tapissantes d’un rose très prononcé et d’une
douceur ouateuse s’étendent à perte de vue tout en servant d’écrin romantique à
un face-à-face fratricide. Le premier de la fratrie est un hors-la-loi repenti,
cherchant à oublier son passé tumultueux en travaillant au service d’un cattle baron, Dennis Denneen (Donald
Crisp). Son jeune frère Tony est, quant à lui, un chien fou immature, rétif à
toute discipline, hystérique, rebelle et explosif mais qui vénère Steve comme
si celui-ci était son père. Les dérives sanguinaires de Tony et les cadavres
qui s’amoncellent poussent Steve à mettre fin à ce cycle de la violence.
Pourtant le propos de Robert Parrish n’est pas seulement de filmer un gunfight dans un cadre original, mais
aussi de présenter, hors-champ, le deuxième suicide de l’histoire du western
(le premier se situait dans Les Rebelles
de Fort Thorn /Two Flags West de
Robert Wise/1950) (1). Refusant de tirer
contre son frère, Tony préfère se suicider en retournant l’arme contre lui. Son
corps gît au milieu des bruyères au moment où Steve parvient à sa hauteur
(photogramme 2). Encore une fois, la douceur du paysage contrebalance la
tragédie et donne une dimension émotionnelle à la scène. Fauché avant la fleur
de l’âge, Tony n’est plus que ce cadavre qui finit par se confondre avec
l’efflorescence environnante qui lui sert d’ornement mortuaire. Les démons
intérieurs de Tony ont fini par le submerger et sa mort lui donne
paradoxalement une dimension humaine et un statut de victime. L’amour pour son
frère a été supérieur à toute autre considération. Tous ces éléments narratifs
sont donc mis au service d’une esthétique particulièrement soignée et d’un
lyrisme aussi débridé qu’échevelé. Libre
comme le vent est un très grand western.
(1) Voir
mon article sur le suicide chez Kevin Costner
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