jeudi 27 avril 2017

La corde chez Fritz Lang


Filmé deux ans avant l’arrivée au pouvoir du nazisme, M le maudit (M, Eine Stadt sucht einen Mörder de Fritz Lang/1931) révèle la part d’ombre et de cauchemar qui travaille la société allemande sous la République de Weimar. Un tueur, Hans Beckert (Peter Lorre), terrorise la ville de Berlin en abordant de jeunes enfants et en les assassinant. Traqué par la police qui veut mettre fin à ses agissements, mais aussi par la pègre qui voit ses différents trafics perturbés par l’omniprésence policière, le meurtrier surnommé M - en raison de la lettre infamante qui sera marquée à la craie sur le côté droit de son manteau afin de mieux le repérer - finit par être capturé par les truands berlinois et traduit devant un pseudo-tribunal du peuple dans le sous-sol d’un immeuble. Pris de panique, fou d’épouvante et secoué par des convulsions, M tombe à genoux pour implorer ses « juges », tout en livrant un monologue désespéré et saisissant. « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! Je veux fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, alors je me questionne : j’ai fait cela ? L’aliénation de M, le déséquilibre de sa personnalité, et les profonds tourments intérieurs qui expliquent ses pulsions meurtrières, n’émeuvent guère le public prêt à le lyncher sur place. Ses cris de bête blessée, ses pleurs et ses gémissements donnent une dimension pathétique au personnage mais lui restituent paradoxalement une part d’humanité. Fritz Lang impose dans son cadre un fragment d’image fortement symbolique constitué au premier plan d’une corde qui agit comme un signal prémonitoire du sort qui attend M. Cette corde, tendue à l’extrême, forme deux nœuds coulants qui matérialisent évidemment le supplice annoncé de l’assassin. Elle est aussi le prolongement d’une palissade en bois qui, fixée au mur lépreux derrière M, accentue son enfermement en rendant toute fuite impossible. L’image a donc une fonction polysémique : M est à la fois prisonnier de ses furies intérieures mais aussi de ses juges et bourreaux qui sonnent l’hallali. La mise au point et la zone de netteté faites sur la corde, la poutre verticale et M révèlent une forme de violence primitive que Fritz Lang cherche à condamner dans le cadre d’une Allemagne qui voit croître l'influence du parti nazi. Mais tout à sa névrose, M n’est qu’un symptôme du mal qui en 1931 ne se cache plus. Son adjuration désespérée, sa marginalité, ses déviances et ses lamentations résonnent au fond de cette cave décrépite, comme autant de signes avant-coureurs du spectre totalitaire. La terreur générée par les actes de M, et les juges préfigurant les nazis donnent, à ce moment-là, une image psychotique et mortifère de l’Allemagne.


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