lundi 27 mars 2017

La chape de plomb chez Paul Haggis


Hank Deerfield (Tommy Lee Jones), ancien militaire de carrière désormais à la retraite apprend que son fils, de retour d’Irak, est porté déserteur à la suite de sa disparition au lendemain d’une permission. Dans le film Dans la vallée d’Elah (In the Valley of Elah/2007), Paul Haggis met en scène l’enquête du père qui le mène tout d’abord au sein même de la caserne à laquelle appartient son fils. Coincé entre deux militaires qu’il interroge, Hank, mâchoires serrées, joues creusées, épaules affaissées et mains serrées, apparaît figé dans son trouble intérieur. Mais ce plan revêt une double contradiction quant à la place de Hank dans le cadre : tout d’abord, son hiératisme hérité d’une vie passée sous les drapeaux supprime tout dynamisme sur ce plan frontal, mais tranche pourtant avec le mouvement des deux soldats qui l’encadrent. Le premier à gauche est légèrement penché sur sa droite, alors que celui à l’arrière-plan est en train de se déplacer. Enfin, l’affaissement général de l’attitude de Hank est également contredit par la détermination qui se lit dans ses yeux et « ce fouillis de rides qui transforme son visage en carte géologique » (1). Face aux réponses allusives des collègues de son fils et dans cet univers militaire normalisé que Hank connaît bien, ses certitudes et ses repères vont se déliter petit à petit et le faire basculer progressivement dans un réel – son fils déshumanisé par le conflit en Irak - qu’il n’avait jamais imaginé. La tasse de café, l’ordinateur, l’imprimante et la photo de famille du soldat sont autant d’objets lointains de la vie quotidienne qui appartiennent à un autre monde sur lequel ce père n’a plus de prise. Le jeu ascétique de Tommy Lee Jones, tout en tension contenue, donne au personnage de Hank une dimension funeste et tragique. « Cette carrure qui écrase malgré elle ce qui l’entoure » (2) se révèle plus fragile que ce que le modèle de virilité de Hank exprimait jusque-là. Premier film américain à évoquer la deuxième guerre contre l’Irak, avec Redacted de Brian De Palma la même année, Dans la Vallée d’Elah, est le contrepoint d’un autre film, britannique cette-fois-ci, La Bataille de Bassora (The Mark of Cain de Marc Munden/2007). Le premier évoque un point de vue extérieur à la guerre – le père à la recherche de son fils – mettant en exergue l’impact dévastateur du conflit auprès de jeunes hommes totalement inexpérimentés, alors que le deuxième met en valeur, de l’intérieur, le traumatisme d’un soldat entraîné malgré lui, dans un processus qui le mènera à pratiquer la torture sur des prisonniers irakiens. À propos de Dans la vallée d’Elah, Franck Kausch établit le constat suivant: « En demandant ce qu’il faut penser d’une nation qui laisse ses enfants à la barbarie, le film est d’abord un constat sanitaire habillé en jugement moral, qui cherche moins les raisons et le sens d’un événement que ses conséquences, et pour qui le scandale premier de la guerre en Irak est le sacrifice d’Abraham que l’Amérique s’inflige à elle-même, où le bras divin ne retient plus mais abat froidement ».(3)


(1 et 2) Dictionnaire chic du cinéma de Éric Neuhoff, Éditions Écriture, 2013 p.201 
(3) Dans la Vallée d’Elah : US go home, article de Franck Kausch, Positif 561, novembre 2007, p.44 et 45




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