dimanche 21 mai 2017

Le noir chez Woody Allen


Avec Match Point (2005) et avant Blue Jasmine (2012), Woody Allen explore de manière vertigineuse, la noirceur de l’âme humaine. Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer) est un professeur de tennis d’origine modeste qui entre par effraction dans la grande bourgeoisie londonienne, en épousant Chloé (Emily Mortimer), la fille d’Alec Hewett (Brian Cox), un riche homme d’affaires ayant pignon sur rue. Arriviste, amoral, cynique et manipulateur, Chris mène en fait une double vie en fréquentant la fiancée de son beau-frère, Nola Rice (Scarlett Johansson). Cette relation dévorante, exaltée et torride l’amène au bord du gouffre lorsque Nora le somme de révéler au grand jour leur passion. Mais trop habitué au confort matériel prodigué par la famille Hewett, Chris choisit de tuer Nora en ourdissant un piège particulièrement machiavélique. Vêtu de noir, le regard fixe, l’œil farouche, les mâchoires serrées, la cravate défaite et les mains gantées de cuir, Chris est assis sur un canapé zébré dans l’appartement de la voisine de Nora. À sa droite, un sac de sport, dans lequel on chercherait vainement une raquette de tennis ou une paire de chaussures de sport, repose négligemment à ses côtés. Un fusil démonté s’y trouve, prêt à l’emploi. L’intérêt de l’image – et du film – réside dans « une réflexion sur la présence du mal, tapi en chacun de nous, et dans la lutte perdue d’avance pour lui échapper » (1). Portant beau et derrière une façade sportive, douce, aimante, raisonnée et raisonnable, Chris est en fait, un être veule, rongé tout autant par la passion qu’il éprouve pour Nora que par la volonté de profiter du confort matériel dans lequel il évolue. Assis sur le bord du canapé et prêt à bondir, il apparaît irrité, frustré d’être obligé de choisir entre sa maîtresse et son épouse, lui qui veut, en bon joueur de tennis, jouer sur tous les tableaux. Sa rancune se nourrit d’un ressentiment qui va se muer en hostilité, et le meurtre odieux qu’il prépare doit permettre d’éliminer cette source de frustration. Nulle hésitation dans ce regard, mais une détermination farouche à mener son projet jusqu’au bout dans ce décor banal et quotidien qui tranche avec l’extrême brutalité de son geste planifié. L’éclairage divise son visage en deux, laissant dans l’ombre sa partie gauche, pour mieux souligner cette double personnalité qui relève du simulacre et de l’imposture. Très proche de Crimes et délits (Crimes and Misdemeanors/1989) dans lequel Woody Allen avait déjà filmé le triomphe des apparences, Match Point apparaît comme le creuset dans lequel s’épanouit le pessimisme allenien sur la condition humaine.

(1) Match Point, critique de Pierre Murat, Télérama du 26/10/2005


1 commentaire:

  1. "un professeur de tennis d’origine modeste qui entre par effraction dans la grande bourgeoisie londonienne", "Portant beau et derrière une façade sportive, douce, aimante, raisonnée et raisonnable", "lui qui veut, en bon joueur de tennis, jouer sur tous les tableaux" !!! Ton style s'imprègne du réalisateur que tu mets à l'honneur, succulent.

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