Tout comme De sang-froid (In Cold Blood,
Richard Brooks, 1967)[1],
Je veux vivre ! (I Want to Live !, Robert Wise, 1958) est un film
exceptionnel dans sa dénonciation impitoyable de l’odieuse violence d’État
qu’est la peine de mort. Condamnée à la
peine capitale pour un crime qu’elle n’a pas commis, Barbara Graham (Susan
Hayward) est conduite hors de sa cellule pour être attachée sur la chaise de la
chambre à gaz du pénitencier de Saint Quentin en Californie. Sans aucun
sentimentalisme et encore moins d’élan lyrique, mais dans une description au
scalpel proche du réalisme documentaire, Robert Wise filme toutes les étapes
conduisant à l’exécution. Mais si Barbara a demandé à ce qu’on lui couvre les
yeux avec un masque, c’est moins par peur de la mort que pour exprimer son
profond dégoût face au voyeurisme des journalistes massés derrière elle, tous
plus friands les uns que les autres du spectacle qui se déroule sous leurs
yeux. Tout est net dans le plan, comme
pour mieux rapprocher celle qui, au premier plan, reste digne envers et contre
tout, et ceux, à l’arrière-plan, qui se repaissent, toute honte bue, de la
souffrance d’autrui. Témoins d’une forme de violence normalisée, c’est tout
juste s’ils ne se bousculent pas pour être le mieux placés au premier rang, afin
de satisfaire la plus vile des jouissances. Nul visage révulsé, nul trouble
même imperceptible, encore moins de défaillance ou de paroles feutrées, mais juste
une meute silencieuse d’honnêtes gens cravatés et nœuds papillonnés, convaincus
que l’exemplarité du châtiment est le meilleur moyen pour apporter la sécurité
et l’ordre dans la société. La cloison vitrée qui sépare les journalistes de la
suppliciée impose une ligne de démarcation que le métal froid de l’intérieur de
la chambre à gaz rend encore plus oppressante. Cette fascination malsaine
devant la mort, ce goût décomplexé du morbide dans le cadre d’une abjecte
vengeance légitimée par une justice boiteuse, ne peuvent que révéler leur
vacuité morale. Ils sont l’exact opposé des journalistes-croisés prompts à
défendre les injustices et que le cinéma hollywoodien se plaît à célébrer à l’image
d’un Ed Hutcheson (Humphrey Bogart)[2],
un rédacteur en chef intègre luttant contre la corruption. Tout au contraire, et
sur un ton corrosif, Robert Wise les assimile à des échotiers plus proches du
cynisme d’un Charles Tatum[3]
ou de l’arrogance d’un J.J. Hunsecker[4],
puisque c’est par leurs écrits à charge qu’ils ont contribué à mobiliser
l’opinion publique contre Barbara. Seul Ed Montgomery (Simon Oakland), un
journaliste repenti, taraudé par sa mauvaise conscience, tentera de l’innocenter,
en vain. En hurlant toute l’ignominie du monde, c’est donc tout autant la peine
de mort que la puissance de la presse people que le réalisateur dénonce
ici, juste avant de pourfendre, dans son film suivant Le Coup de l’escalier
(Odds Against Tomorrow, 1959), le racisme, cet autre poison universel.
lundi 30 janvier 2023
Le voyeurisme chez Robert Wise
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