À hauteur de regard, la caméra de William Keighley est
littéralement vampirisée par cette muraille montagneuse, aussi infranchissable
qu’écrasante, dont la paroi en forme de V menace littéralement de se refermer
sur les huit cavaliers pris au piège de ce cul de sac minéral. Alors qu’une horde d’Indiens lancée à leurs
trousses menace de les submerger, ils n’ont plus la possibilité de tourner
bride, et savent à cet instant que leur destin est scellé sur cette terre prête
à se dérober sous les sabots de leurs chevaux. Nulle grotte ou autre
anfractuosité pour s’y réfugier, mais juste une falaise dressée vers le ciel et
contre l’horizon ne pouvant être appréhendée que vue du sol, des roches que
l’on devine rouges, sculptées par le temps, le vent, la pluie, la chaleur,
comme autant de forces inexorables, une architecture finalement à la mesure
d’une nature violente, harmonieuse qui a pris tout son temps pour parfaire son
œuvre, mais qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. La combinaison de la
verticalité majestueuse et de la masse cyclopéenne de cet abrupt, rend subitement
dérisoire les passions humaines en forçant les hommes à s’incliner, à courber
l’échine avec humilité, à défaut pour eux, de pouvoir se transformer en
démiurges. La disparition de la profondeur de champ, si chère au western, et la
présence d’un tout petit coin de ciel soulignant à peine la ligne de crête
inaccessible, donnent la mesure de l’enfermement dans lequel se trouvent les
fuyards. « L’homme n’est pas accueilli par la nature, mais englouti par elle
» disait Joel Snyder à propos des photographies des paysages de l’Ouest
américain de Timothy O’Sullivan [1].
Autant de lieux qu’on ne peut qu’imaginer éternels, à l’image de ces héros
tragiques qui, s’ils vont dans quelques minutes perdre prématurément la vie
dans un ultime baroud d’honneur, n’en entreront pas moins dans la légende et la
geste du grand Ouest. Tout concourt donc visuellement à faire de ce plan un
plan de transition, d’attente, entre la chevauchée éperdue des protagonistes venus
se fracasser contre ce mur, et leur affrontement inévitable avec les Indiens,
un plan dans lequel roche et cavaliers se confondent dans un hiératisme magnétique.
Le titre du film en français, La Révolte des dieux rouges (1950) est
moins explicite que son titre original Rocky Mountain, plus en phase
avec cet espace singulier, ce décor orgueilleux d’une incomparable beauté et
que le noir et blanc rend encore plus contrasté et mystérieux. Même si William
Keighley n’est pas John Ford ou Anthony Mann, celui-ci a néanmoins réussi ici –
Rocky Mountain sera son seul western - à transcender de manière
saisissante sa caméra pour capter les tensions entre les hommes et un
environnement pris dans sa pureté originelle. À moins que cela ne soit
l’inverse. ….
[1] Joel Snyder, American Frontiers : The
Photographs of Timothy H. O’ Sullivan 1867-1874, New-York Aperture, 1981,
cité dans Il était une fois le western, une mythologie entre art et cinéma,
catalogue de l’exposition du Musée des Beaux-Arts de Montréal, 2018, p.39
Aucun commentaire:
Publier un commentaire