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À l'exception de L'Homme des hautes plaines (High Plains Drifter, 1973) et de Pale Rider, le cavalier solitaire (Pale Rider, 1985), la mise en scène de Clint Eastwood n'a jamais été aussi redevable de l'univers de Sergio Leone que dans cette séquence extraite de son film réalisé en 1983, Le Retour de l'inspecteur Harry (Sudden Impact). Une nuit, à San Paulo, une petite ville de Californie, Jennifer Spencer (Sondra Locke, photogrammes 1 et 2) est poursuivie par trois malfrats dont l'un, Mick (Paul Drake, photogramme 3) a participé au viol de la jeune femme et de sa sœur dix ans auparavant. Profitant de l'obscurité, elle se réfugie dans un manège de chevaux de bois qui jouxte la plage bordant le Pacifique et le met en marche. Se déplaçant à moitié courbée entre les chevaux, alors que la plateforme entame son mouvement circulaire, Jennifer tente d'échapper à ses poursuivants qui, eux aussi, ont pris pied sur le carrousel. Entre ombre et lumière, sa silhouette se confond dans la contradiction de deux mouvements : la rotation horizontale du carrousel et le mouvement vertical lancinant que font les chevaux fixés à leurs barres. Les nombreux plans sur son visage angoissé et les stigmates des coups qu'elle vient de recevoir révèlent le calvaire qu'elle subit au cœur des ténèbres et du chaos. Espace corrompu par la violence, ce manège évoque la figure circulaire chère à Sergio Leone que l'on peut voir dans certains de ses films : le cimetière de Sad Hill dans Le Bon, la Brute et le Truand (The Good, the Bad and Ugly, 1966) et le muret encerclant Harmonica et Frank dans Il était une fois dans l'Ouest (Once Upon a Time in the West, 1968) sont tout autant des arènes mettant en scène des catharsis que des révélateurs de la vérité de chacun des personnages. Tout a commencé ici (Jennifer et sa sœur ont été violées non loin de là) et tout va se terminer dans cet espace forain endormi. Symbolisant l'enfermement et le vertige, le mouvement sans fin du carrousel traduit le malaise existentiel de Jennifer, son écoeurement vis-à-vis du monde qui n'a pas su être attentif à son traumatisme, et sa part d'ombre, elle qui n'hésite pas, dans un désir de vengeance insatiable, à tuer tous ceux qui ont participé jadis à son malheur et à celui de sa soeur. Sa vérité est celle d'un enfer à ciel ouvert qui ne peut trouver sa résolution qu'au beau milieu de ce lieu à priori ludique et familier, mais ici hanté par le souvenir d'une blessure qui ne cicatrise pas. La tonalité funèbre et cauchemardesque de la séquence, ainsi que la violence graphique que déploie Clint Eastwood soulignent la confrontation de Jennifer à ses démons intérieurs et surtout à ce démon, Mick, qui inexorablement se rapproche de sa proie. Fouillant de ses yeux l'obscurité, celui-ci s'est arrêté à côté d'une licorne dont la corne, par son mouvement ascendant et descendant, déchire littéralement l'écran. Les circonvolutions nauséeuses de son cerveau de criminel sont soulignées par les travellings circulaires de la caméra, une contre-plongée menaçante et un éclairage expressionniste violemment contrasté coupant son visage en deux. Brutal clone d'un croisement entre Scorpio (le tueur dans L'Inspecteur Harry/Dirty Harry, Don Siegel, 1971) et de Stacy Bridges (un autre tueur dans l'Homme des hautes plaines), il ne sait pas encore qu'il ne lui reste que quelques instants pour disparaître définitivement dans la nuit.
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