Dans Seuls
sont les indomptés (Lonely Are the
Brave, David Miller, 1962), Jack Burns (Kirk Douglas) est un cowboy sans
domicile fixe, errant à travers les plaines du Nouveau-Mexique, vivant d'expédients,
dormant à la belle étoile et ayant pour tout compagnon de route son cheval
prénommé Whisky. Épris de liberté, individualiste forcené et refusant toutes les
contraintes autres que celles qu'il s'impose, il se rend à ce moment dans une
ville pour revoir son ancienne amie Jerry (Gena Rowlands). Mais alors que Jack tente
de traverser une autoroute qui coupe son itinéraire, des voitures et des
camions surgissent brutalement dans le cadre, manquant de l'écraser. Le cheval renifle,
hésite, se cabre, prend peur, ne peut ni avancer ni reculer, virevolte et
menace à tout moment de renverser son cavalier. Les klaxons, les injures et les
visages interloqués derrière les pare-brises encerclent celui qui reste
insensible à toute cette agitation. Désormais l'asphalte a remplacé les
anciennes pistes chaotiques et poussiéreuses qu'empruntaient jadis les
troupeaux de bovins, et les voitures se sont substituées aux chariots bâchés
pour de nouvelles transhumances vers ce qui n'est plus une terre vierge, mais
un espace quadrillé par des villes et des routes. La Conquête de l'Ouest est
terminée depuis longtemps et l'esprit des pionniers à l'assaut de la Frontière,
cette ligne imaginaire séparant la civilisation de la sauvagerie, est désormais
entre les mains des historiens. Ce n'est
pas le cas pour Jack, un ancien combattant de la guerre de Corée, qui persiste
à être le vestige d'un temps révolu, un anachronisme croyant faire perdurer un
mode de vie qui n'a plus cours, un solitaire et un anarchiste défiant les
conventions et l'ordre établi. Hors-la-loi flamboyant, mais sans la violence
qui accompagne habituellement ce statut, Jack est aussi inadapté au monde
moderne qu'un Tom Doniphon (John Wayne dans L'Homme
qui tua Liberty Valance de John Ford tourné la même année). Sa silhouette à
cheval emprisonnée dans le rétroviseur du camion désigne bien ce passé auquel
Jack s'accroche envers et contre tout. Cette autoroute dont le bas-côté droit
est jalonné de poteaux électriques qui ont remplacé les poteaux télégraphiques
d'antan, glisse vers son point de fuite, un horizon bloqué par une rangée
d'arbres. Pourtant en s'exposant ainsi à ce flot continu de véhicules de
manière aussi désinvolte et provocatrice, Jack se comporte comme un
trompe-la-mort, bien conscient qu'il est au bout de la piste et qu'il n'a plus
rien à attendre de ses semblables. Cette dimension suicidaire qui le pousse à
rompre les amarres illustre bien la contradiction opposant son monde intérieur
constitué d'espaces libres et sans entraves à celui du monde extérieur, réel,
corseté et conformiste. Faux western mais véritable ode nostalgique à ce genre
cinématographique, Seuls sont les
indomptés annonce sinon sa fin, du moins son crépuscule. Tirée du livre
d'Edward Abbey (1) et scénarisée par Dalton Trumbo – encore mis à l'index par
la liste noire du maccarthysme – l'histoire de Jack Burns refusant la modernité
tout en se marginalisant renvoie aux thématiques des anti-héros qui seront
développées quelques années plus tard par les cinéastes du Nouvel Hollywood.
(1) The Brave Cowboy d'Edward
Abbey, 1956. Pour l'édition française, Seuls
sont les indomptés, Gallmeister, 2015
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