lundi 29 juillet 2019

La femme fatale chez Bob Rafelson



Le plaisir extrême que l'on prend à la vision du film de Bob Rafelson, Le Facteur sonne toujours deux fois (The Postman always rings twice, 1981), tient, bien entendu, au scénario rédigé par David Mamet d'après le roman éponyme de James M. Cain. Durant la Grande Dépression, Frank Chambers (Jack Nicholson) erre sur les routes de Californie. S'étant arrêté pour manger dans une station-service tenue par Nick Papadakis (John Colicos), il est subjugué par sa femme Cora (Jessica Lange), entre- aperçue affairée dans la cuisine, et il décide d'accepter le poste de mécanicien que son mari lui propose.  « Son corps mis à part, elle n'était pas d'une beauté folle, mais elle avait un certain air boudeur et des lèvres qui avançaient de telle façon que j'ai immédiatement eu envie de les mordre ». (1) Au contraire de la description de Cora faite par James M. Cain, Jessica Lange irradie l'écran de sa beauté, une beauté qui fait faire au cœur un bond jusqu’au fond de la gorge pour mieux retomber en chute libre et vertigineuse au creux de l'estomac. Visiblement, Cora produit le même effet sur Frank que sur le spectateur. Avec sa chevelure blonde ondulée mi-longue, son visage solaire dont les yeux fixent intensément Frank, sa bouche entrouverte, orgueilleuse et provocante, elle va unir sa destinée à celle de Frank. Tout les oppose à priori: elle est mariée, attachée à ce bout de terre, enfermée dans les servitudes domestiques quotidiennes, lui est un vagabond sans attaches, vivant d'expédients au jour le jour, refusant les contraintes quelles qu'elles soient. Devenus instantanément amants, ils vont vivre une relation fusionnelle, pulsionnelle et violente, uniquement bridée par la présence d'un mari encombrant dont l'élimination apparaîtra bientôt comme la seule issue possible. Histoire archétypale du trio infernal, Le Facteur sonne toujours deux fois de Bob Rafelson, remake incandescent de la précédente version tournée par Tay Garnett en 1946, fait de Cora une femme fatale dont l'éclat et la grâce masquent mal une part d'ombre criminelle. « Je te veux pour moi, Frank …..  si on n'était que nous deux …. que toi et moi » dit-elle en fixant son amant. « Qu'est-ce que tu veux dire ? » répond Frank. « J'en ai assez de ce qui est bien ou mal » rétorque-t-elle. « On pend les gens pour cela, Cora » lance Frank, mi-inquiet, mi-interrogateur. L'engrenage mortel est désormais lancé. À ce moment précis, ils sont convaincus que leur passion mutuelle est suffisante pour s'affranchir de la médiocrité sentimentale dans laquelle ils baignaient jusqu'à présent. Choisissant l'ivresse du corps et l'extase qui l'accompagne plutôt que la morale, Cora et Frank signent explicitement un contrat de nature faustienne pour se lancer vers l'abîme, ou plutôt pour voir le monde tel qu'ils se l'imaginent et dans lequel la liberté de se choisir une autre vie ne serait pas une idée vaine. Au contraire de Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort/Double Indemnity, Billy Wilder, 1944, une autre adaptation d'un roman de James M. Cain), nul désir de lucre dans l'esprit de Cora, mais une soif toujours renouvelée de vivre pleinement avec Frank un amour qui leur appartient désormais, tout en sachant que le prix à payer sera élevé.

(1) Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain, Gallimard, 1936, p.11









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