Roman
Polanski aime se mettre en scène dans des rôles à géométrie variable. Après Le Bal des vampires (1967) et Le Locataire (1976) dans lesquels il se
donne le premier rôle, Quoi ? (1972),
mais surtout Chinatown (1974) voient
l’apparition du réalisateur dans des séquences aussi brèves que marquantes.
Celle extraite de Chinatown (voir les
deux photogrammes) en est l’illustration. J.J. Gittes (Jack Nicholson),
détective privé dans le Los Angeles des années 30 enquête sur un meurtre qui
s’est produit dans la zone du réservoir d’Oak Path, à proximité de la ville
californienne. Acculé à une barrière grillagée qu’il vient de franchir par
effraction (et qui rappelle le no
trespassing du générique de Citizen
Kane), il est apostrophé par deux individus qui sortent de l’obscurité et
dont le plus petit (Roman Polanski) – Gittes le traite de nain - apparaît
immédiatement très menaçant. - Hold it there, kitty cat ! You are a very nosey
fellow, kitty cat …. You know what happens to nosey fellows ? (bouge pas, minou ! Tu es
un type trop curieux, minou … tu sais ce qui arrive aux
types trop curieux ?) dit-il en brandissant un couteau sous le nez d’un
Gittes molesté et ceinturé par le deuxième coupe-jarret, bien bâti et tout en
muscles, Claude Mulvihill (Roy Jenson). La violence physique et verbale qui se
dégage du premier malfrat contraste avec sa tenue élégante, composée d’un
panama, d’un nœud papillon rouge à pois
et d’un costume blanc immaculé. Mettant sa menace à exécution, il tranche d’un
coup vif la narine du détective de laquelle s’échappe un flot de sang. À propos
de cette séquence, Robert Towne, le scénariste du film, disait « qu’il était trop tentant de la faire subir à
un détective, individu qui passe son temps à fourrer son nez dans les affaires
des autres » (1). Dans le cadre d’une unité de lieu (la zone du réservoir),
d’action (l’agression) et de temps (la séquence dure moins d’une minute), Polanski,
le cinéaste, rejoint Polanski,
l’acteur : « Je sais que je passe
aux yeux de bien des gens pour une espèce de gnome méchant et débauché »
dit-il dans son autobiographie, Roman par
Polanski (2). Le duo dissymétrique qui assaille Gittes renvoie à un autre
film de Polanski, Cul-de-sac (1966),
dans lequel deux invidus, l’un râblé,
vulgaire et prompt à user de ses poings plutôt que de son cerveau, et l’autre, chétif,
amoureux du ciel et des étoiles, prennent en otage les deux propriétaires d’un
manoir. Cette union des contraires se retrouve aussi dans l’incertitude de
Gittes – et par conséquent du spectateur, puisque tout le film adopte le point
de vue du détective - quant au pourquoi de l’agression connu visiblement par l’homme
au couteau. Nerveux, tendu à l’extrême, sarcastique, cet homme (sans nom)
renvoie à une violence qui irrigue tout le film, mais aussi tout le cinéma de
Roman Polanski, non pas dans la représentation de la violence physique qui se
cantonne à des fulgurances, mais à une violence tapie dans les recoins corrompus
de l’âme humaine. Répulsion (1965) et
Rosemary’s Baby (1968) avaient déjà montré que cette vision du monde se percevait à travers un prisme angoissant et
inquiétant du réel, lié probablement aux expériences traumatisantes que Roman
Polanski, né de parents juifs, a vécues entre 1941 et 1945, dans la Pologne
occupée par l’armée allemande.
(1) Cité dans Chinatown
de Michael Eaton, BFI : Les classiques du cinéma, Akileos, 2018, p. 50
(2) Cité dans
Roman Polanski de David Ehrenstein,
Cahiers du cinéma, 2012 p.57 et Roman par
Polanski, Robert Laffont, 1984
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