dimanche 28 mai 2017

la fontaine d'eau chez Alan Parker


Le film d’Alan Parker Mississippi Burning (1988) s’ouvre sur ce plan saisissant : deux fontaines d’eau, l’une destinée aux Blancs, l’autre aux Noirs, apparaissent à l’écran. Si l’eau est la même pour tous, le moyen d’y accéder diffère. À gauche, une fontaine moderne et réfrigérée a visiblement remplacé l’ancienne dont les marques sont encore visibles sur le mur. À droite, l’autre fontaine, plus rustique, ne doit produire qu’une eau tiède puisque celle-ci provient directement de la canalisation. Pour bien marquer la séparation entre les deux, une autre canalisation, verticale celle-ci, rejette aux deux extrémités du plan ces deux objets publics de la vie quotidienne, quelque part dans l’État du Mississippi en 1964. Le mur est nu : nul miroir, nulle décoration, nulle affiche pour brouiller le regard du spectateur, tétanisé par les deux bouts de bois indiquant la place de chaque communauté. En un plan, tout est dit : Alan Parker met en scène la ségrégation raciale et sociale, qui sévit dans le Sud des États-Unis depuis 1875. Mais plus encore, l’image exprime un hors-champ particulièrement puissant qui accompagne ce racisme totalement banalisé: les lois Jim Crow de 1876 légalisant la ségrégation raciale dans les lieux publics, les lynchages perpétrés en toute impunité, la protection de l’armée américaine pour permettre au premier étudiant noir, James Meredith, d’intégrer l’Université du Mississippi en 1962, sans oublier les luttes menées par Rosa Parks ou Martin Luther King pour faire valoir les droits de toute la communauté afro-américaine. Accompagnant ce plan fixe, un gospel, Take my hand, precious Lord, chanté par Mahalia Jackson, s’élève doucement et tristement pour mieux souligner la désespérance de la scène. Là aussi, en contrepoint, une autre chanson, Strange Fruit de Billie Holiday, nous vient à l’esprit pour mieux faire converser plusieurs parties mélodiques : interprété pour la première fois en 1939, et indissociable du répertoire de la chanteuse de blues et de jazz, ce chant contestataire évoque les Noirs pendus aux arbres dans le Sud des États-Unis - Les arbres du Sud portent un fruit étrange - Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines - Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud - Un fruit étrange suspendu aux peupliers -. C’est donc une dramaturgie particulièrement évocatrice qui est générée par l’image d’Alan Parker et qui, tout en se positionnant contre la ségrégation institutionnalisée et la violence qui la sous-tend, nous donne à entendre l’héritage exceptionnel que nous a légué la culture afro-américaine : le gospel, le blues et le jazz.







Aucun commentaire:

Publier un commentaire