Le film d’Alan Parker Mississippi Burning (1988) s’ouvre sur ce plan saisissant :
deux fontaines d’eau, l’une destinée aux Blancs, l’autre aux Noirs, apparaissent
à l’écran. Si l’eau est la même pour tous, le moyen d’y accéder diffère. À
gauche, une fontaine moderne et réfrigérée a visiblement remplacé l’ancienne
dont les marques sont encore visibles sur le mur. À droite, l’autre fontaine,
plus rustique, ne doit produire qu’une eau tiède puisque celle-ci provient
directement de la canalisation. Pour bien marquer la séparation entre les deux,
une autre canalisation, verticale celle-ci, rejette aux deux extrémités du plan
ces deux objets publics de la vie quotidienne, quelque part dans l’État du
Mississippi en 1964. Le mur est nu : nul miroir, nulle décoration, nulle
affiche pour brouiller le regard du spectateur, tétanisé par les deux bouts de
bois indiquant la place de chaque communauté. En un plan, tout est dit :
Alan Parker met en scène la ségrégation raciale et sociale, qui sévit dans le
Sud des États-Unis depuis 1875. Mais plus encore, l’image exprime un hors-champ
particulièrement puissant qui accompagne ce racisme totalement banalisé: les
lois Jim Crow de 1876 légalisant la ségrégation raciale dans les lieux publics,
les lynchages perpétrés en toute impunité, la protection de l’armée américaine
pour permettre au premier étudiant noir, James Meredith, d’intégrer l’Université
du Mississippi en 1962, sans oublier les luttes menées par Rosa Parks ou Martin
Luther King pour faire valoir les droits de toute la communauté afro-américaine.
Accompagnant ce plan fixe, un gospel, Take
my hand, precious Lord, chanté par Mahalia Jackson, s’élève doucement et
tristement pour mieux souligner la désespérance de la scène. Là aussi, en
contrepoint, une autre chanson, Strange
Fruit de Billie Holiday, nous vient à l’esprit pour mieux faire converser
plusieurs parties mélodiques : interprété pour la première fois en 1939,
et indissociable du répertoire de la chanteuse de blues et de jazz, ce chant
contestataire évoque les Noirs pendus aux arbres dans le Sud des États-Unis - Les arbres du Sud portent un fruit étrange -
Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines - Des corps noirs qui
se balancent dans la brise du Sud - Un fruit étrange suspendu aux peupliers -.
C’est donc une dramaturgie particulièrement évocatrice qui est générée par
l’image d’Alan Parker et qui, tout en se positionnant contre la ségrégation
institutionnalisée et la violence qui la sous-tend, nous donne à entendre
l’héritage exceptionnel que nous a légué la culture afro-américaine : le
gospel, le blues et le jazz.
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