samedi 2 juillet 2016

L'épilogue selon Mervyn LeRoy


Les deux plus grands épilogues de l’histoire du cinéma appartiennent à La Planète des singes (Planet of the Apes de Franklin J.Schaffner, 1968) et à Je suis un évadé (I am a Fugitive from a Chain Gang  de Mervyn LeRoy, 1932). Dans ce dernier film, Paul Muni (ici, au regard halluciné) incarne un ancien combattant de la Première Guerre mondiale de retour au pays. N’arrivant pas à se réinsérer dans la société, il se laisse entraîner dans un casse qui tourne mal et finit condamné à dix ans de travaux forcés. Une lente descente aux enfers commence alors pour lui …….

La séquence dure 1’24 mais imprime la rétine du spectateur de manière indélébile. James Allen (Paul Muni, donc) est en cavale et s’extirpe des ténèbres pour délivrer un message d’adieu à Helen (Helen Vinson), la femme qu’il aime. Mal rasé, les yeux hagards et revêtu d’une chemise, d’un costume et d’un feutre élimés encadrant une cravate noire lui rappelant sa vie d’avant le bagne, James Allen est aux abois. Il vient de s’évader du bagne et se sait pourchassé. Extrêmement nerveux et constamment sur le qui-vive, il sursaute au moindre bruit qui transperce l’obscurité environnante. Ses paroles frénétiques d’animal traqué résonnent sinistrement alors qu’Helen tente en vain de le retenir. La tension dramatique de cette image est transmise par l’éclairage qui fige, dans une large zone d’ombre, le visage de James, dévoilant non seulement son expression désespérée mais aussi la destinée de cet homme, broyé par la société et ses institutions judiciaires et pénitentiaires, et voué à la marginalité. En cette année de 1932, Paul Muni incarne dans une construction en miroir deux rôles qui pervertissent le rêve américain ; Scarface (Scarface de Howard Hawks), gangster flamboyant parvenu à la réussite par le meurtre et la corruption et James Allen, ancien soldat condamné pour un crime qu’il n’a pas commis et pour lequel la justice persiste à ne pas avoir les yeux bandés. Bien que se déroulant au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’itinéraire de cet homme, déchu de ses droits, fait forcément écho aux années noires de la Grande Dépression des années 30 que traversent à ce moment les États-Unis. À l’instar de milliers de laissés-pour-compte jetés sur les routes par le chômage et la misère, James Allen est devenu un paria rejeté dans l’ombre. Cette séquence d’une esthétique foncièrement pessimiste, ne doit son existence qu’à  un fusible récalcitrant qui avait sauté, plongeant ainsi le studio Warner dans l’obscurité. La noirceur – dans tous les sens du terme – de la scène avait semble-t-il plu à Darryl F. Zanuck, l’omnipotent producteur du film. La séquence fut gardée.



Paul Muni



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