mercredi 18 décembre 2024

L'inversion des codes chez Nathan H. Juran



Dans Springdale, une petite ville du Nebraska, Eddie Campbell (Robert Vaughn),  un hors-la-loi ayant participé au cambriolage d’une banque, vient d’être jugé coupable et condamné à la pendaison  pour le meurtre du shériff Hiram Cain (Emile Meyer). Il avait, quelques heures auparavant, échappé de justesse au lynchage traditionnel dans ce cas de figure. Mais au cours du procès, les témoignages à charge sont moins assurés, moins convaincants. Personne n’est certain, hors de tout doute, que Eddie est le vrai coupable à l’exception du shériff suppléant Ben Cutler (Fred MacMurray). Celui-ci, dont la fille est amoureuse du prisonnier, fait pencher le jury en faveur du verdict de culpabilité. Mais devant  les dénégations et les suppliques du condamné et alors que le gibet est en train d’être dressé, le doute s’installe au sein de la population. 

Dans Terre de violence (Good Day for a Hanging, 1959) Nathan H. Juran renverse de manière très originale ce sentiment, indissociable de l’Ouest sauvage, qu’on est jamais aussi bien servi que par soi-même en se faisant, en quelques minutes et de manière improvisée, juge et bourreau. Dans le photogramme, un groupe de citadins, plutôt désoeuvrés, si l’on excepte le forgeron à l’arrière-plan, très affairé au-dessus de sa forge, taillent une bavette et tentent de refaire le monde en s’interrogeant sur la partialité du verdict. Avec une humilité de bon aloi, associée à un sens profond des valeurs autant humanistes que fraternelles, et en leur qualité de citoyens responsables et payeurs de taxes, - je remarque qu’ils ne portent aucun six-coups, accessoire pourtant réglementaire en ces contrées, signe que le pacifisme imprègne bien  leurs esprits -,  ils vont progressivement se persuader  que le jeune Eddie est, en fait, innocent du crime dont on l’accuse. Nous sommes très loin des populaces vengeresses, ivres de violence et quelque fois d’alcool, exigeant, souvent en pleine nuit et à la lumière des torches,  que ledit  prisonnier leur soit remis sur le champ avant que celui-ci ne soit, non recouvert de goudron et de plumes, mais pendu à la branche d’un arbre, avec une célérité certaine. En effet, la présence de cette justice expéditive et aveugle, dite loi de Lynch, hante de manière obsessionnelle, tout le western. Quoi de plus normal, puisque l’un des enjeux de ce genre cinématographique en apparence très codifié, à part égale avec la domestication d’un espace sauvage, est justement la lutte entre l’arbitraire et l’installation de la loi et de l’ordre comme garde-fous contre tous les débordements hystériques et antidémocratiques. De L’étrange incident (The Ox-Bow Incident, William Wellman, 1943) à Cinq cartes à abattre (Five Card Stud, Henry Hathaway, 1968) en passant par La Colline des potences (The Hanging Tree, Delmer Daves, 1959), Les Furies (The Furies, Anthony Mann, 1950) ou Johnny Guitare (Johnny Guitar, Nicholas Ray, 1954), la liste serait trop longue pour tous les énumérer, mais, en ce qui me concerne, je retiendrais deux films avec deux séquences aussi fulgurantes qu’ignominieuses: le lynchage d’un Blanc par une foule particulièrement bas de plafond dans Le Voleur de minuit (The Moonlighter, Roy Rowland, 1953) et celui d’un jeune Comanche par une horde vociférante de brutes racistes dans Les Deux Cavaliers (Two Rode Together, John Ford, 1961). Dans tous les cas, ces exécutions sommaires matérialisent, de manière quasiment entomologique, la bestialité des hommes mus par une rage collective, normalisée et assumée en toute bonne conscience, tellement assumée par ailleurs, que dans Les Implacables (The Tall Men, 1955) Raoul Walsh fait dire, de manière ironique certes, à Ben Allison (Clark Gable), en voyant un pendu se balancer au bout d’une branche : « On dirait que nous sommes proches de la civilisation ». 

À l’aune de cette réalité, il est donc tout à fait étonnant de voir ce groupe d’hommes remplis d’empathie pour Eddie, remettre en question le jugement et les motivations de Ben Cutler. Ce n’est plus le shériff, même suppléant,  qui protège le hors-la-loi contre des citadins en colère à l’instar de Clay Blaisedell (Henry Fonda) dans L’Homme aux colts d’or (Warlock, Edward Dmytryk, 1959) mais bien une population, de plus en plus critique vis-à-vis du représentant de la loi, souhaitant surseoir à l’exécution, au besoin en faisant signer une pétition qui irait en ce sens. Qui a dit que le western racontait toujours la même histoire ?




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