Un escalier mécanique est en temps normal le moyen
le plus rapide et le moins fatiguant pour accéder d’un étage à l’autre,
particulièrement dans un déplacement ascendant. Pour empêcher le quidam harassé
par une journée de travail de perdre l’équilibre, il est toujours doté d’une
main courante qui se déplace à la même vitesse que les marches. Que l’on soit
dans un centre commercial, un aéroport, une gare ou, comme ici, dans la station
Tottenham Court Road du métro londonien ne change rien à l’affaire. Aussi
est-ce plutôt inhabituel de voir une personne allongée sur le dos utiliser de
cette manière ce dispositif de transport. Les marches sur lesquelles des
milliers de pieds se sont posés n’incitent pas vraiment à opter pour ce moment
de relaxation, aussi éphémère soit-il. L’homme du photogramme se retrouve ainsi
dans la même position insolite que celle de Carlito Brigante (Al Pacino dans L’Impasse
/Carlito’s Way, Brian De Palma, 1993), couché sur d’identiques marches
mobiles, pour échapper aux yeux des mafieux qui le traquent dans la guerre
centrale de New-York. Mais, dans Le Loup-garou de Londres (An
American Werewolf in London, John Landis, 1981), l’homme tente d’échapper à
un danger encore plus terrifiant que les balles de vulgaires tueurs à gages, un
danger d’autant plus angoissant qu’il reste invisible pendant toute la séquence
ou presque.
Quelques instants plus tôt donc, notre homme était
sorti d’une rame de métro pour se retrouver sur un quai totalement désert.
Alors qu’il s’apprêtait à se diriger vers la sortie, un grondement hors-champ, manifestement
d’origine animale, se fit entendre à deux reprises. Interloqué, quelque peu inquiet,
l’homme se mit à accélérer le pas, en empruntant le labyrinthe de couloirs
particulièrement longs, sans y rencontrer âme qui vive. Sentant une menace
derrière lui, mais sans pouvoir l’identifier, en dépit des regards anxieux
qu’il ne cessait de jeter par-dessus ses épaules, il aperçut enfin, au détour
d’un virage, celui ou celle qui le poursuivait – mais le spectateur non, même
si nous savons qu’il s’agit d’un loup-garou - dans une vision qui lui parut alors
totalement irréelle, sortie tout droit d’un cauchemar. Immédiatement consumé
par un effroi jusque-là inconnu, pris de panique, il comprit que la seule chose
qui lui restait à faire, était de prendre la fuite, de courir avec l’énergie du
désespoir pour sauver sa vie, jusqu’à trébucher sur les premières marches de cet
escalier mécanique.
Si le plan est aussi terrifiant (voir le photogramme),
c’est autant par l’apparition dans le champ du corps d’un animal, avançant
lentement, prêt à fondre sur sa proie, que par la position de la caméra placée
en hauteur, filmant en plongée, de manière vertigineuse, la tragédie en cours. Les
pattes du lycanthrope apparaissent en premier, au sommet du cadre, puis son
mufle et une partie de son corps particulièrement velu. Face au surgissement de
cette altérité radicale dans un espace familier transformé en territoire de
prédation, l’homme, allongé sur les marches en métal, incapable de se relever, tétanisé
par la peur, enfermé entre les deux balustrades de l’escalier roulant, est réduit,
sous la lumière aux tonalités froides des néons, à une silhouette noire écrasée
et impuissante. Pour donner à la scène toute sa dimension dramatique, John
Landis joue avec la profondeur de champ pour faire du corps épuisé de la future
victime le point de fuite des deux diagonales matérialisées par les mains
courantes. La mise au point faite sur la
scène en contrebas, permet à notre regard de passer de l’homme à la bête et de
la bête à l’homme dans un balancement visuel particulièrement anxiogène. Seul
le grincement continu de l’escalier en mouvement et le grognement assourdi de
la bête à la recherche de sang tranchent le silence obstiné et sépulcral qui accable
ces couloirs souterrains. La mise en scène de la séquence illustre alors
pleinement l’implacable mécanique narrative misant sur l’attente, la sidération
et l’effet de choc. Voulant invisibiliser l’hallali et la mort, à l’inverse du
choix de la monstration horrifique d’un Sam Raimi (Evil Dead, 1981) ou
d’un Wes Craven (A Nightmare on Elm Street, 1984), John Landis choisit à
cet instant, d’opérer un violent cut à 180° pour filmer le visage et les yeux écarquillés de l’infortunée victime. C’est
à travers ce regard affolé que le loup-garou pourra imprégner ces derniers plans
de toute sa puissance maléfique.
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