vendredi 24 mars 2023

L'apocalypse chez John Carpenter

 


Premier film de la Trilogie de l’Apocalypse, The Thing (John Carpenter, 1982), avant Prince of Darkness (1987) et In the Mouth of Madness (1995), est une plongée en apnée dans un cauchemar paranoïaque, une méditation sur le désespoir de voir l’humanité disparaître sous les coups de boutoir d’une force inconnue, d’un péril insondable, implacable et inintelligible. Au cœur de l’Antarctique, un centre de recherches scientifiques coupé du monde vient d’exploser (voir le photogramme). Un champignon de forme atomique s’élève dans le ciel, s’épanouit telle une boule de feu tout en circonvolutions pour déchirer les ténèbres environnantes subitement éclairées par cette lumière brûlante et aveuglante. L’énergie libérée provoque une onde de choc qui disperse aux alentours une grande quantité de projectiles, réduisant la station en un amas de décombres fumantes. Filmée en plan large, cette explosion contamine la partie gauche de l’image avec ses tons jaunes et rouges qui se reflètent dans la neige.  Relié au sol par une colonne de fumée du même éclat violent, ce champignon traduit toutes les hantises face à l’anéantissement de notre monde et accroît notre effroi puisque l’enfer et la terreur sont sur Terre désormais. Incapable d’anéantir une entité venue d’une autre dimension, un parasite extraterrestre pouvant imiter, absorber et digérer toute créature – animale et humaine - avec laquelle celle-ci entrait en contact, le pilote d’hélicoptère de la station MacReady (Kurt Russell) n’a eu d’autre choix que de tenter de la détruire aux moyens d’explosifs particulièrement puissants. Ce moment signifiant constitue l’apogée d’un film particulièrement tendu et angoissant dans ce nihilisme si typique du cinéma de John Carpenter. Ce qui s’apparente ici à un holocauste est très inspiré par le contexte de la Guerre froide qui perdure au moment du tournage, puisque The Thing est sorti un an après l’élection de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis, prélude à une dégradation des relations américano-soviétiques et à une reprise de la course aux armements dont la frénésie semble n’avoir plus aucune limite. Mais cet autodafé d’une « chose » prête à éradiquer le genre humain cite également les thématiques lovecraftiennes que Carpenter a si souvent mises en scène : d’un côté un univers vaste, profond et peuplé de créatures qui attendent leur heure pour submerger la Terre et dominer les hommes, de l’autre, l’incapacité des humains à comprendre et à appréhender la forme physique de ces entités. L’ensemble fait partie intégrante d’une horreur cosmique dont Lovecraft s’est fait le maître et que Carpenter déploie de manière concentrique et obsessionnelle dans la plupart de ses films. En mettant en scène un xénomorphe, insaisissable et létal (The Thing), des fantômes surgis de la brume (Fog, 1980), des scientifiques luttant pour empêcher le retour sur Terre du fils de Satan (Prince of Darkness) ou encore un écrivain rendu fou par la lecture d’un livre maudit (In the Mouth of Madness), le réalisateur aborde la question du mal et de sa propagation. Dans ce cas de figure, l’explosion déclenchée par McReady n’est rien d’autre que la dernière image d’un monde voué à l’anéantissement, d’un monde irrémédiablement perdu. John Carpenter, dans ce constat d’un pessimisme rare, est l’égal d’un George Romero, d’un Wes Craven ou d’un Tobe Hooper.




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