Bien avant Robert Altman (Buffalo Bill et les
Indiens/Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull’s History
Lesson, 1976), William A. Wellman démythifie – timidement certes, nous
sommes en 1944 et les États-Unis ont besoin de héros - la stature de cette
figure héroïque, emblématique de la mythologie de l’Ouest américain, qu’est William
F. Cody, alias Buffalo Bill, un aventurier, tour à tour éclaireur, cavalier du
Pony Express, chasseur de bisons et tueur d’Indiens, adulé de son vivant,
confondu avec sa légende tissée, autant par ses soins que sous la plume du
journaliste Ned Buntline, entre réalité et fiction. Réalisé après L’Étrange incident (The
Ox-Bow Incident, 1943), un western dénonçant le lynchage, Buffalo Bill
(1944) est d’une ambivalence tragique. Victime d’une campagne de désinformation
menée par ses nombreux ennemis qui ne lui pardonnent pas ses discours favorables
aux Indiens, Buffalo Bill (Joel McCrea) se retrouve, désargenté, sur la scène
d’un théâtre ambulant à Washington (voir le photogramme). Il n’a d’autre
ressource que d’être cette marionnette pathétique rejouant son passé devant un
public fasciné et totalement illusionné. Un court instant, comme l’indique le
titre du spectacle rédigé derrière lui, Buffalo Bill est ce saltimbanque, plus
P.T. Barnum que Wild Bill Hickok, se mettant dérisoirement en scène, acteur de
lui-même et de ses exploits, mimant ses chasses aux bisons et ses combats
contre les Indiens. Reflet dérisoire de ce qu’il fut, caricature grotesque du
personnage qu’il incarna, il s’affiche comme une attraction, première étape du
divertissement de masse matérialisé par le cirque du Wild West Show qu’il
créera en 1883. Il a commencé, à ce moment du film, à faire de sa vie une mise
en scène, une représentation du mythe de la Conquête de l’Ouest, menée de
manière triomphante et conquérante par un peuple de migrants déterminé à
implanter la civilisation en lieu et place d’un espace sauvage. Celui qui
galopait librement dans les grands espaces de l’Ouest, se retrouve désormais
sur un cheval de bois, immobile sur un tapis roulant dont la force motrice est
actionnée à l’aide d’une manivelle par un homme dans les coulisses (au premier
plan à gauche du cadre). Revêtu d’un stetson blanc, d’une veste et d’un pantalon
à franges, l’ancien éclaireur avance bien vers nous, mais sans mouvements, pétrifié
dans une trajectoire rectiligne, prédéterminée, tout en déchargeant dans un
panache de fumée, mécaniquement et sans émotion particulière, ses deux colts
sur de minuscules silhouettes cartonnées d’Indiens à cheval. Parodiant le bruit d’une cavalcade en
entrechoquant deux boules en bois, un deuxième homme (au premier plan à droite
du cadre) caché derrière le rideau de scène, parachève le simulacre de cet
affrontement qui tient plus de la flétrissure du réel que de la nostalgie d’une
épopée magnifiée. Pour le bonimenteur d’estrade (de dos, en costume et chapeau
melon), il faut divertir les masses et produire l’image d’une légende dorée,
mensongère et largement idéalisée pour donner à l’Amérique un héros qu’elle
pourra admirer. Loin du panégyrique béat d’un Cecil B. DeMille (Une Aventure
de Buffalo Bill/The Plainsman, 1936), voire d’un Jerry Hopper (Le
Triomphe de Buffalo Bill/Pony Express, 1953), William A. Wellman, de
manière feutrée, susurre à ceux qui veulent l’entendre, et dans une modernité confondante,
que l’illusion médiatique est devenue plus réelle que la réalité.
mardi 1 novembre 2022
La démythification en marche chez William A. Wellman
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