mardi 1 novembre 2022

La démythification en marche chez William A. Wellman


Bien avant Robert Altman (Buffalo Bill et les Indiens/Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull’s History Lesson, 1976), William A. Wellman démythifie – timidement certes, nous sommes en 1944 et les États-Unis ont besoin de héros - la stature de cette figure héroïque, emblématique de la mythologie de l’Ouest américain, qu’est William F. Cody, alias Buffalo Bill, un aventurier, tour à tour éclaireur, cavalier du Pony Express, chasseur de bisons et tueur d’Indiens, adulé de son vivant, confondu avec sa légende tissée, autant par ses soins que sous la plume du journaliste Ned Buntline, entre réalité et fiction.  Réalisé après L’Étrange incident (The Ox-Bow Incident, 1943), un western dénonçant le lynchage, Buffalo Bill (1944) est d’une ambivalence tragique. Victime d’une campagne de désinformation menée par ses nombreux ennemis qui ne lui pardonnent pas ses discours favorables aux Indiens, Buffalo Bill (Joel McCrea) se retrouve, désargenté, sur la scène d’un théâtre ambulant à Washington (voir le photogramme). Il n’a d’autre ressource que d’être cette marionnette pathétique rejouant son passé devant un public fasciné et totalement illusionné. Un court instant, comme l’indique le titre du spectacle rédigé derrière lui, Buffalo Bill est ce saltimbanque, plus P.T. Barnum que Wild Bill Hickok, se mettant dérisoirement en scène, acteur de lui-même et de ses exploits, mimant ses chasses aux bisons et ses combats contre les Indiens. Reflet dérisoire de ce qu’il fut, caricature grotesque du personnage qu’il incarna, il s’affiche comme une attraction, première étape du divertissement de masse matérialisé par le cirque du Wild West Show qu’il créera en 1883. Il a commencé, à ce moment du film, à faire de sa vie une mise en scène, une représentation du mythe de la Conquête de l’Ouest, menée de manière triomphante et conquérante par un peuple de migrants déterminé à implanter la civilisation en lieu et place d’un espace sauvage. Celui qui galopait librement dans les grands espaces de l’Ouest, se retrouve désormais sur un cheval de bois, immobile sur un tapis roulant dont la force motrice est actionnée à l’aide d’une manivelle par un homme dans les coulisses (au premier plan à gauche du cadre). Revêtu d’un stetson blanc, d’une veste et d’un pantalon à franges, l’ancien éclaireur avance bien vers nous, mais sans mouvements, pétrifié dans une trajectoire rectiligne, prédéterminée, tout en déchargeant dans un panache de fumée, mécaniquement et sans émotion particulière, ses deux colts sur de minuscules silhouettes cartonnées d’Indiens à cheval.  Parodiant le bruit d’une cavalcade en entrechoquant deux boules en bois, un deuxième homme (au premier plan à droite du cadre) caché derrière le rideau de scène, parachève le simulacre de cet affrontement qui tient plus de la flétrissure du réel que de la nostalgie d’une épopée magnifiée. Pour le bonimenteur d’estrade (de dos, en costume et chapeau melon), il faut divertir les masses et produire l’image d’une légende dorée, mensongère et largement idéalisée pour donner à l’Amérique un héros qu’elle pourra admirer. Loin du panégyrique béat d’un Cecil B. DeMille (Une Aventure de Buffalo Bill/The Plainsman, 1936), voire d’un Jerry Hopper (Le Triomphe de Buffalo Bill/Pony Express, 1953), William A. Wellman, de manière feutrée, susurre à ceux qui veulent l’entendre, et dans une modernité confondante, que l’illusion médiatique est devenue plus réelle que la réalité.  



 
   

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