La séquence finale de The
Lost City of Z (James Gray, 2016) est saisissante. Nina Fawcett (Sienna
Miller) vient de quitter Sir John Scott Keltie (Clive Francis), le président de
la Royal Geographical Society à Londres. Les larmes aux yeux, elle est venue,
en vain, l’implorer d’organiser une nouvelle expédition pour rechercher son
mari Percy Fawcett (Charlie Hunnam) et son fils Jack (Tom Holland) dont elle
est sans nouvelles depuis des années, depuis ce jour où ils sont partis dans
les profondeurs de l’enfer vert de l’Amazonie à la recherche de la cité de Z
appartenant à un royaume d’une civilisation oubliée depuis des temps
immémoriaux.
Dans une semi-pénombre, Nina est en train de descendre l’escalier.
Alors qu’elle s’apprête, stoïque et drapée dans une dignité meurtrie, à sortir à
droite du cadre, la caméra s’est légèrement avancée vers elle pour dévoiler, à
gauche, un miroir accroché au-dessus d’un foyer, et dans lequel nous voyons Nina
s’enfoncer dans la jungle amazonienne. Dans un silence total, elle marche,
lentement mais résolument, au milieu d’une végétation dense aux arbres
gigantesques, semblables aux colonnes d’un temple démesuré, et du faîte
desquels descendent, tels des serpents pétrifiés, des lianes aux anneaux
torturés. Tout au bout du chemin, une éclaircie de feuillages permet à la lumière
de transpercer la canopée. Une
magnifique symbiose se tisse alors entre Nina et la nature, enveloppant la
séquence comme un rêve le ferait d’une aventure insensée. Elle refuse de croire
que son mari et son fils sont morts quelque part dans la jungle brésilienne.
Niant l’évidence et son statut de veuve que la société lui prête, elle sait
déjà que rien ne la fera changer d’avis et qu’elle n’abandonnera jamais son
désir de tout faire pour retrouver un jour sa famille. Son obsession dévorante est
devenue sa tragédie. Nina vient littéralement de passer de l’autre côté du
miroir, de franchir une frontière, pour s’immerger et disparaître, comme avalée
par cette forêt qui fascinait tant son mari. En faisant mentalement cela, alors
qu’elle avait toujours voulu l’accompagner, elle se retrouve désormais à ses
côtés parce qu’elle sait depuis longtemps que Percy n’avait jamais envisagé la
jungle brésilienne comme un espace hostile, sauvage et primitif. Tout au
contraire, il y trouvait une liberté, une forme d’accomplissement et de
transcendance, face au mystère d’une partie du monde et de l’humanité. Comme Charles
Gordon pour le désert de Nubie au Soudan, ou Thomas Edward Lawrence pour celui de
Wadi Rum en Jordanie, Percy Fawcett fait partie de ces officiers britanniques,
tourmentés et orgueilleux, fascinés par les espaces où l’homme occidental ne
s’aventure guère, et dans lesquels viennent se consumer l’âme et le corps des
rares qui osent les transgresser.
Ce dernier plan rappelle celui qui clôt The
Immigrant (2013). Dans un même cadre, nous voyons à gauche, et à travers
une fenêtre, Ewa (Marion Cotillard) et sa sœur Magda (Angela Sarafyan) s’éloigner
d’Ellis Island en bateau, alors qu’à droite, visible dans un miroir, Bruno
(Joachim Phoenix) s’éloigne pour sortir du bâtiment. Les deux personnages se
dirigent ainsi vers le fond de l’écran en direction de deux destinées opposées.
Celui de The Lost City est encore plus puissant, puisque James Gray,
cette fois-ci, filme une seule et même personne, sortant du cadre tout en y restant
par le jeu du miroir. D’un côté, Nina reste dans la société britannique, de
l’autre elle rejoint un territoire n’existant sur aucune carte. La mise en
scène est magistrale. L’ensorcellement pour la forêt équatoriale rejoint ici la
fascination de l’image.



