Quand trois ans après la fin de la guerre, Jane
Wharton (Joan Fontaine), une infirmière sans histoire croise la route de Bill Saunders
(Burt Lancaster), un vétéran ayant passé deux ans dans un camp de prisonniers
nazi et devenu par accident un meurtrier après avoir frappé mortellement un
propriétaire de pub londonien, sa vie va prendre une tout autre direction que
celle qu’elle escomptait. Tombant amoureuse de Bill, elle est prête à le suivre
sans savoir que son destin va basculer lorsqu’elle sera confrontée à Harry
(Robert Newton), un maître-chanteur qui harcèle Bill depuis que le premier a
été le témoin de l’accident tragique du pub. L’unique rencontre entre Jane et
Harry tourne au drame puisque celle-ci, en état de légitime défense, le tue à
coups de ciseaux alors qu’il se montrait de plus en plus entreprenant. La
caméra la saisit quelques minutes après le drame. Au tumulte de la confrontation
avec Harry vient de succéder le silence de la sidération. Désemparée, elle se
tourne vers le miroir de sa chambre, se regarde et réalise à cet instant que
tout son visage, avec ses lèvres scellées, ses yeux inquiets et ses traits tirés
comme par une contracture, révèle un être déchiré, profondément tourmenté, au
bord d’un effondrement mental. Elle apparaît d’autant plus fragile et
vulnérable que son corps semble écrasé par un poids invisible. En éclairant sa
chevelure et ses épaules affaissées, la lumière crue émise par l’ampoule
au-dessus de sa tête renforce encore le dénuement et la détresse dans lesquels
se trouve Jane. Le sol vient de se dérober sous ses pieds, et comme pour mieux
souligner sa désorientation et son basculement dans un quotidien transformé
désormais en cauchemar, la caméra adopte un angle oblique particulièrement
dramatique et en légère plongée qui déséquilibre le champ pour mieux participer
au sentiment de malaise de la jeune femme. C’est cet angle de prise de vue insolite qui
génère la tension de la séquence, entre incertitude et dilution du réel. Le plan rapproché utilisé accentue par
ailleurs la claustrophobie de Jane, doublement prisonnière dans les limites du
cadre et de celles du miroir. Ce dernier la met surtout face à elle-même, face
à ce qu’elle a été capable de faire durant une fraction de seconde. Ce qui est
arrivé n’est pas de sa faute, ni de celle de Bill d’ailleurs, se dit-elle probablement,
mais d’un enchaînement de circonstances que ni elle, ni lui n’ont réussi à
maîtriser. À l’instar de Keechie (Cathy O’Donnell dans Les Amants de la nuit/They
Live by Night, Nicholas Ray, 1947), elle s’accroche toujours éperdument à
l’espoir de trouver enfin le bonheur auprès de son amant. Son regard fixe et perdu
donne toute sa dimension douloureuse et désespérée à cette nuit qui n’en finit
plus et dans laquelle la mort rôde encore. Dans Les Amants traqués (Kiss
the Blood off my Hands, Norman Foster, 1948), l’esthétique austère du noir
et blanc du directeur de la photographie Russel Metty[1]
est l’écrin parfait pour permettre à son réalisateur de peindre les émotions
d’une femme tiraillée entre un désir de vivre paisiblement – au contraire des
femmes fatales qui peuplent le genre – et son amour pour un homme dont le fatum
pèse de toute sa charge.
[1]
Russel Metty
exercera ses talents sur de nombreux autres plateaux de tournage aux côtés de
Budd Boetticher, Douglas Sirk, King Vidor, Orson Welles, Stanley Kubrick ou
encore John Huston.
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