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Dans
À cause d’un assassinat (The Parallax View, Alan J. Pakula, 1974)
Joe Frady (Warren Beatty) est un journaliste qui découvre, trois ans après
l’assassinat d’un candidat à la présidentielle et la disparition suspecte de
plusieurs témoins, l’existence de la Parallax Corporation, une société spécialisée
dans le recrutement « d’agents de sécurité » dont la tâche principale est d’assassiner
les hommes politiques en vue. En infiltrant cette organisation criminelle, il
découvre qu’un nouveau meurtre est en préparation contre le sénateur George
Hammond, lui aussi candidat à l’élection présidentielle. Son enquête va le
mener sur les traces du tueur à Atlanta …
Dans le photogramme 1, le réalisateur et son
directeur de la photographie Gordon Willis utilisent la règle des trois tiers pour filmer dans la partie
droite du cadre, de dos, deux hommes assis sur un banc. À gauche, Joe Frady
(Warren Beatty) discute avec, à sa droite, Jack Younger (Walter McGinn), le
recruteur de la Parallax Corporation. Les deux personnages forment le point
focal de l’image, celui qui attire immédiatement notre œil puisqu’il se situe ici
au premier plan. Comme pour compenser ce décentrage, les lignes verticales
(l’immeuble, les arbres, la hampe du drapeau) et horizontales (les dossiers des
bancs publics, la ligne d’horizon formée par le sommet des arbres à
l’arrière-plan) abondent pour équilibrer un cadre particulièrement chargé. Les deux hommes sont dominés, en
effet, par la verticalité de l’immeuble dont la façade en verre, imposant toute
sa masse écrasante, occupe quasiment la moitié du cadre. Placer ces deux hommes
dans le tiers droit n’est pas fortuit puisque cela permet d’ouvrir, à gauche,
l’espace dans les deux autres tiers. Cette portion du cadre filmée avec une
grande profondeur de champ intègre tous les éléments du décor, ce qui laisse au
spectateur la possibilité de susciter un questionnement concernant les liens
qui existent entre les deux personnages et leur environnement. Et cet espace
est suffisamment large pour que nous puissions tout voir : des spectateurs
assis sur des bancs regardent un match de basket, des promeneurs font leur
jogging, des enfants courent en poussant des cris. En cette journée ensoleillée
et avec ce ciel bleu immaculé se mariant au vert de la végétation, la vie suit
son cours, insouciante, apaisée.
Pourtant, directement lié au dialogue entre Fred et Jack, cet espace
ouvert suggère aussi la présence d’un hors-champ nettement plus anxiogène,
nettement plus menaçant puisque, dans cette ville, dans ce bâtiment visible
dans l’arrière-plan, s’ourdit un assassinat politique auquel Fred Frady va être
directement mêlé. Pakula installe donc dans son cadre deux réalités
antinomiques : une menace contre la démocratie et l’indolence d’une
population ignorant tout du complot en marche.
Dans le photogramme 2, Frady vient de
prendre l’escalier roulant de cet immeuble visible dans le précédent
photogramme, le Convention Center de la cité géorgienne où se tient la répétition
générale du rassemblement politique au cours duquel George Hammond justement, doit
faire une apparition. Chez Pakula, là aussi, les lignes et les énormes volumes du
décor participent, en autant de termes visuels et narratifs, à nous donner une
vision du monde étroitement associée aux personnages. Le toit en verre, censé
favoriser la luminosité naturelle du bâtiment, ne joue pas son rôle puisque celle-ci,
même en pleine journée, reste entre chien et loup. Les supports métalliques soutenant
la verrière forment des diagonales qui s’apparentent aux rayons d’une
gigantesque toile d’araignée dans laquelle Joe Frady semble s’empêtrer. Dans ce
décor froid et sans âme, sa silhouette d’encre, minuscule, donne l’impression
d’être écrasée entre le plafond et la balustrade de l’escalier comme autant de
mâchoires prêtes à se refermer sur elle. Le bâtiment et son architecture éclipsent donc le personnage pour
mieux nous faire ressentir l’oppression d’une menace invisible, d’un monde qui emprisonne
l’infortuné Frady, pris dans les rets d’un complot qui le dépasse et qui ne
sait pas, à cet instant, qu’il marche vers son destin.
Tourné à l'apogée du scandale du Watergate, À cause d’un
assassinat saisit l’humeur de toute une époque, faisant écho de manière
inquiétante aux meurtres réels de dirigeants américains de premier plan tels
que John et Robert Kennedy, Malcolm X ou Martin Luther King. Ce film, deuxième
volet de ce que la critique surnommera la Trilogie paranoïaque, est encadré par
Klute (1971) et Les Hommes du Président (All the President’s
Men, 1976), trois chefs d’œuvre qui fouailleront le malaise démocratique en
affirmant qu’aucun acte immoral n’était trop fallacieux pour les pouvoirs en
place.