vendredi 25 mars 2016

Tristesse de la terre de Eric Vuillard / Actes Sud 2014


Dans Tristesse de la terre et à travers l’histoire du Wild West Show créé en 1883 par Buffalo Bill (William Frederick Cody de son vrai nom),  Eric Vuillard nous présente en fait, ce qui est considéré comme le premier western, en ce sens que Buffalo Bill est le premier à avoir créé, à l’échelle planétaire, le mythe de la Conquête de l’Ouest qui donnera vie à un genre cinématographique né en 1903 avec le Vol du grand rapide (The Great train robbery d’Edwin S. Porter, tourné en 1903). Certes, la littérature s’était déjà emparée du mythe. Les romans de James Fenimore Cooper (Le Dernier des Mohicans, 1836), ceux de Karl May (Winnetou, 1874) sans oublier les Dime novels (des romans à deux sous) de Ned Buntline (Buffalo Bill, the King of the Border Men, 1869) mettent déjà en scène des héros de légende, des Indiens sauvages ou non dénués de noblesse, des colons courageux et intrépides, une nature rebelle mais en voie de domination. Mais c’est véritablement, le Wild West Show, ce cirque ambulant gigantesque – 1200 pieux, 4000 mats, 30 000 mètres de cordage, 23 000 mètres de toile, 8000 sièges, 10 000 pièces de bois, 800 personnes, 500 chevaux et des dizaines de bisons - qui ira à la conquête du monde pour donner une version fantasmée, illusoire et mensongère du Far West. Éric Vuillard évoque – particulièrement pour les spectateurs de l’Est des États-Unis mais aussi pour les populations européennes - les reconstitutions de la bataille de Little Big Horn, du massacre (pour les besoins de la cause, Buffalo Bill parle de bataille) de Wounded Knee. Cavalcades de guerriers indiens, charges de la cavalerie américaine, fusillades, corps-à-corps acharnés, tout est fait pour impressionner les spectateurs, avides de sensations fortes. Le pivot de ces scénographies est l’Indien; ce sauvage emplumé qui a cru pouvoir s’opposer à la marche civilisatrice des colons. De véritables Indiens jouent leur propre rôle avec ce mélange de résignation et de désespérance qui a dû être le leur. Même Sitting Bull est engagé en 1885 par Buffalo Bill pour décolorer, parodier sa propre histoire. Quand les représentations ont lieu - le Wild West Show s’arrête en 1913 – la Conquête de l’Ouest et son corollaire, la destruction du monde indien sont encore en cours. Sitting Bull est assassiné en 1890 sur la réserve de Standing Rock dans le Nord  Dakota. À l’annonce de cette nouvelle, Buffalo Bill quitte son cirque stationné à Nancy en Lorraine pour se rendre sur les lieux du crime. A-t-il de la compassion pour l’ex-leader de la nation sioux ? Non, sa seule préoccupation est de démonter la cabane du vieux chef et de récupérer son cheval pour en faire des éléments de son spectacle, show business oblige…. Eric Vuillard tire donc à boulets rouges sur William Frédérick Cody mais aussi sur toutes les figures militaires qui ont fait le malheur des nations indiennes, les généraux Nelson Miles, Philip Sheridan et Leonard Colby. Sous la houlette de l’ancien chasseur de bisons, les Indiens, figurants de leur propre malheur, vivent une deuxième mort dont les stéréotypes – coiffes à plumes, chevaux fougueux, et intégralement inventés pour l’occasion nous dit Éric Vuillard, des cris de guerre créés en faisant claquer la paume sur la bouche – vont faire la fortune des films des années 30 et 40. Buffalo Bill meurt en 1917, mais sa légende savamment mise en scène dans ces représentations théâtrales, cet entertainment qui ne dit pas encore son nom, continuera sa course sur les écrans de cinéma. Pour le monde entier, il est le preux chevalier qui a maintes fois bravé la mort, l’éclaireur au service de l’armée américaine, le chasseur de bisons qui a participé à la construction du chemin de fer, le cavalier du Pony Express, ce service postal qui distribuait le courrier de St Joseph (Missouri) à Sacramento (Californie), le vainqueur du duel qui l’opposa en 1876 au guerrier cheyenne, Yellow Hair, à la bataille de Warbonnet Creek au Nebraska. Il devient donc très vite une icône, un mythe dont l’image ne sera véritablement désacralisée qu’en 1976 par Robert Altman dans Buffalo Bill et les Indiens (Buffalo Bill and the Indians or Sitting Bull’s History Lesson). Buffalo Bill y est mis à nu; il ne reste que le bonimenteur, l’arriviste, l’opportuniste , le mythomane (il finit par croire, paraît-il, qu’il avait effectivement participé à la bataille de Little Big Horn). La lecture passionnante et poignante du livre d’Éric Vuillard renvoie à un autre livre, À la grâce de Marseille de James Welch, un écrivain d’origine blackfeet, qui raconte l’histoire d’un Sioux, Charging Elk, membre de la troupe du Wild West Show, abandonné dans un hôpital à Marseille et réduit à errer dans un pays dont il ne connaît ni la langue, ni la culture. C’est un autre livre magistral …….

                                             Buffalo Bill et les Indiens du Wild West Show



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