mercredi 16 mars 2016

Born to be blue de Robert Budreau (2015)


Born to be blue est un biopic qui retrace une partie de la vie de ce fantastique trompettiste de jazz qu’est Chet Baker. Le film débute en 1966 alors que sa carrière, débutée à l’orée des années 50 aux États-Unis connait un creux lié à ses nombreux démêlés avec la drogue et la justice. La particularité du propos tient au fait que le réalisateur canadien – qui avait déjà tourné un documentaire sur ce sujet, The Deaths of Chet Baker en 2009 – choisit non pas les années de flamboyance de ses débuts sur la côte californienne aux côtés de Charlie Parker ou de Gerry Mulligan, ni son retour sur scène à partir de 1973 jusqu’à sa mort en 1988, mais ces années intermédiaires, tragiques, dans lesquelles Chet Baker aurait pu tout simplement sombrer. Robert Budreau fait le choix, dès les premières minutes d’interpréter la vie de Chet en fonction de ce qu’il perçoit de sa personnalité. Il nous convie, à l’instar de la musique toute en sinuosité de ce  porte-flambeau du Jazz West Coast qu’est Chet Baker, à une ballade dont les improvisations tant musicales que mentales nous ramènent à son univers introspectif à l’opposé des exubérances du bebop.  L’important n’est donc  pas de restituer l’histoire vraie du trompettiste, mais de toucher du doigt la complexité du personnage et ses rapports avec la musique, la drogue et l’amour. Dès l’entame, Chet Baker (Ethan Hawke sensationnel) est sorti de prison par un producteur désireux de raconter son histoire (le producteur Dino de Laurentiis voulait effectivement faire un film sur sa vie mais le projet n’avait pas abouti). A la sortie du plateau de tournage, il est violemment agressé par des dealers qui lui fracassent la mâchoire. Ce dernier épisode, authentique, mène le musicien au bord de l’abîme et inaugure une traversée du désert traumatisante, humiliante, hantée par la seule volonté de rejouer de la trompette et de renouer avec la scène et les concerts, de faire en somme, une sortie en forme d’entrée sur scène. Mais le chemin de croix sera long et douloureux pour cet artiste à la sensibilité d’écorché vif; des sons ânonnés par une trompette dont l’embouchure ne retient pas le sang qui s’échappe de sa dentition meurtrie à la nécessité de regagner la confiance des autres (celle de son père, dans une séquence terrible, ne sera jamais acquise) en passant par une reconquête musicale de son talent instrumental et vocal (la séquence dans laquelle, Chet se met à chanter, devant des professionnels de l’industrie musicale, My Funny Valentine, est bouleversante), tout ce chemin doit le mener vers une rédemption qui ne viendra jamais . Soutenu à bout de bras par une femme rencontrée sur un plateau de tournage, Jane (Carmen Ejogo) est un condensé des femmes qui ont peuplé  la vie du trompettiste. Elle le prend en charge, l’accompagne, le soigne, l’aime d’un amour désintéressé et absolu qui contrebalance le caractère autodestructeur et égocentrique de Chet. Des flash-backs récurrents, en noir et blanc, accompagnent cet itinéraire douloureux permettant de replonger dans son passé de beau gosse du cool jazz californien ou du trompettiste jouant au Birdland de New-York devant Miles Davis et Dizzy Gillespie. Son addiction à l’héroïne est présente mais Budreau n’en fait pas la pierre angulaire de son œuvre. La drogue est là, tapie dans l’ombre ou en pleine  lumière, prête à être utilisée pour soulager de manière illusoire cette vulnérabilité. Ethan Hawke donne ici une remarquable interprétation de son personnage au regard perdu dont les yeux soulignent la douleur et le désespoir et qui parvient malgré tout à jouer des phrases musicales  perpétuellement au bord de la rupture. Très proche, dans la forme, de Bird de Clint Eastwood (1988), le film se termine en 1973 au moment où  Chet Baker renoue avec la scène. Il ne sait pas encore qu’il ne lui reste que 15 ans à vivre jusqu’à cette chute du deuxième étage d’un hôtel à Amsterdam en 1988.

                                                                                   Ethan Hawke


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