Born to be
blue est
un biopic qui retrace une partie de la vie de ce fantastique trompettiste de
jazz qu’est Chet Baker. Le film débute en 1966 alors que sa carrière, débutée à
l’orée des années 50 aux États-Unis connait un creux lié à ses nombreux démêlés
avec la drogue et la justice. La particularité du propos tient au fait que le
réalisateur canadien – qui avait déjà tourné un documentaire sur ce sujet, The Deaths of Chet Baker en 2009 – choisit non pas les années de flamboyance de ses
débuts sur la côte californienne aux côtés de Charlie Parker ou de Gerry
Mulligan, ni son retour sur scène à partir de 1973 jusqu’à sa mort en 1988,
mais ces années intermédiaires, tragiques, dans lesquelles Chet Baker aurait pu
tout simplement sombrer. Robert Budreau fait le choix, dès les premières
minutes d’interpréter la vie de Chet en fonction de ce qu’il perçoit de sa
personnalité. Il nous convie, à l’instar de la musique toute en sinuosité de ce
porte-flambeau du Jazz West Coast qu’est
Chet Baker, à une ballade dont les improvisations tant musicales que mentales
nous ramènent à son univers introspectif à l’opposé des exubérances du bebop. L’important n’est donc pas de restituer l’histoire vraie du
trompettiste, mais de toucher du doigt la complexité du personnage et ses
rapports avec la musique, la drogue et l’amour. Dès l’entame, Chet Baker (Ethan
Hawke sensationnel) est sorti de prison par un producteur désireux de raconter
son histoire (le producteur Dino de Laurentiis voulait effectivement faire un
film sur sa vie mais le projet n’avait pas abouti). A la sortie du plateau de
tournage, il est violemment agressé par des dealers qui lui fracassent la
mâchoire. Ce dernier épisode, authentique, mène le musicien au bord de l’abîme
et inaugure une traversée du désert traumatisante, humiliante, hantée par la
seule volonté de rejouer de la trompette et de renouer avec la scène et les
concerts, de faire en somme, une sortie en forme d’entrée sur scène. Mais le
chemin de croix sera long et douloureux pour cet artiste à la sensibilité
d’écorché vif; des sons ânonnés par une trompette dont l’embouchure ne retient
pas le sang qui s’échappe de sa dentition meurtrie à la nécessité de regagner
la confiance des autres (celle de son père, dans une séquence terrible, ne sera
jamais acquise) en passant par une reconquête musicale de son talent
instrumental et vocal (la séquence dans laquelle, Chet se met à chanter, devant
des professionnels de l’industrie musicale, My
Funny Valentine, est bouleversante), tout ce chemin doit le mener vers une
rédemption qui ne viendra jamais . Soutenu à bout de bras par une femme rencontrée
sur un plateau de tournage, Jane (Carmen Ejogo) est un condensé des femmes qui
ont peuplé la vie du trompettiste. Elle
le prend en charge, l’accompagne, le soigne, l’aime d’un amour désintéressé et
absolu qui contrebalance le caractère autodestructeur et égocentrique de Chet. Des
flash-backs récurrents, en noir et blanc, accompagnent cet itinéraire
douloureux permettant de replonger dans son passé de beau gosse du cool jazz
californien ou du trompettiste jouant au Birdland de New-York devant Miles
Davis et Dizzy Gillespie. Son addiction à l’héroïne est présente mais Budreau
n’en fait pas la pierre angulaire de son œuvre. La drogue est là, tapie dans
l’ombre ou en pleine lumière, prête à
être utilisée pour soulager de manière illusoire cette vulnérabilité. Ethan
Hawke donne ici une remarquable interprétation de son personnage au regard
perdu dont les yeux soulignent la douleur et le désespoir et qui parvient
malgré tout à jouer des phrases musicales perpétuellement au bord de la rupture. Très
proche, dans la forme, de Bird de
Clint Eastwood (1988), le film se termine en 1973 au moment où Chet Baker renoue avec la scène. Il ne sait
pas encore qu’il ne lui reste que 15 ans à vivre jusqu’à cette
chute du deuxième étage d’un hôtel à Amsterdam
en 1988.
Ethan Hawke
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