Série Noire (1979)
est le plus grand film d’Alain Corneau. Il s’agit d’une adaptation d’un
roman de Jim Thompson, A Hell of a woman (1954),
remarquablement transposée des États-Unis à une banlieue urbaine quelque part en
France. Patrick Dewaere donne ici toute la mesure de son talent, qui
n’a jamais été reconnu à sa juste valeur. Célébrée en 1980, la 5e
cérémonie des César du cinéma offrit cinq nominations pour le film
d’Alain Corneau dont une pour le meilleur acteur, Patrick Dewaere. Au final,
rien, le vide absolu. C’est Claude Brasseur qui remporta le César pour son rôle dans La Guerre
des polices de Robin Davis. Dans toute sa carrière, Patrick Dewaere ne
recevra qu’une moitié de récompense, l’Étoile de cristal, qu’il partagera avec
Patrick Bouchitey pour La Meilleure façon
de marcher de Claude Miller (1976) ! À mes yeux, Patrick Dewaere est un
acteur munificent jusqu’au vertige, capable de s’investir totalement dans ses rôles, à l’instar
des grands acteurs américains de l’Actors studio comme Marlon Brando ou Dustin
Hoffman qu’il admirait beaucoup.
Franck
Poupart (Patrick Dewaere donc) est un représentant commercial qui sillonne les
routes et les quartiers d’une banlieue non déterminée en France. Le film
s’ouvre sur cette séquence. Franck s’arrête dans un terrain vague, sort de sa
voiture et se met à mimer un duel avec un adversaire imaginaire. Il se met
littéralement en scène, en «représentation» dans ce numéro de pantomime aussi
vain que pathétique. Le décor donne une des clés du film; un terrain vague, de
la boue et des herbes folles, des chantiers en construction à l’arrière-plan et
entre les deux, des tours sans personnalité. Il pleut, il fait gris, l’horizon
est bouché, l’atmosphère est cafardeuse. La sombre tristesse de l'environnement et la solitude d'un personnage déphasé, étranger à ce qui l'entoure instaurent une sorte d'univers célinien dans lequel la topographie de la ville est emprisonnante et enlisante. Tout est dit dans ce plan; Franck est
un perdant, un paumé, un anti-héros, un homme ordinaire qui se débat dans une atroce réalité sociologique (il démarche les gens sans espoir d’ascension sociale) et
urbaine (sa zone de travail est indissociable de cette banlieue impersonnelle
et glauque) qui l’étranglent à petit feu. Ce décor sinistre enveloppe Franck en
créant une esthétique du désespoir que le jeu de Patrick Dewaere souligne de
manière saisissante. Quel immense acteur !
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