mardi 1 mars 2016

L’entrée dans le champ chez David Lean


S’il y a un film que j’emmènerais sur une île déserte, c’est Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia de David Lean, 1962). C’est une œuvre qui déclenche immanquablement un effet de sidération à chaque projection. Elle combine à mes yeux tout ce qui fait le cinéma: un souffle épique (la révolte arabe en 1916 au Proche-Orient), des personnages d’une profonde densité (T.E. Lawrence, un officier britannique idéaliste, égotiste, mais aussi aventurier, rêveur, poète et surtout écrivain), un espace magnifié, filmé de manière somptueuse (le désert d’Arabie), l’Histoire en arrière-plan (les manipulations géopolitiques de la France et du Royaume-Uni et le déclin de l’Empire ottoman), le tout servi par la mise en scène talentueuse et inspirée de David Lean.

Voici une entrée dans le champ grandiose. Lawrence (Peter O’Toole dans le rôle de sa vie) est à gauche. Son guide Majid (Gamil Ratib), à droite, est en train de puiser de l'eau dans un puits. Au loin, de manière imperceptible tout d’abord, puis de manière de plus en plus nette, un méhariste (Omar Sharif) apparaît à l’écran. La composition dans le plan est remarquablement travaillée. L’image est divisée en deux parties horizontales inégales. Les deux-tiers du cadre sont remplis par le désert et le tiers restant forme le ciel d’un bleu étincelant. En ce qui concerne la position des personnages, la structure triangulaire est parfaite: le point de fuite formé par le méhariste permet d'orienter le regard en offrant au spectateur une vision frontale de l'action en cours. Semblable à un véritable mirage, celui-ci s’avance quasiment sur la ligne d’horizon. Le désert crache cette ombre qui avance inexorablement vers Lawrence et Majid dans un silence total, à l'exception des pas du dromadaire, de plus en plus perceptibles. Le cinémascope magnifie cet espace horizontal et infini, perturbé par la verticalité des personnages. L’ombre de Lawrence montre que le soleil est à son zénith, la chaleur est écrasante et la tension naît de la distance, sans cesse raccourcie, qui unit les protagonistes. Du grand art !



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