Vingt
ans séparent La Rivière rouge (Red river de Howard Hawks, 1948) de Will
Penny, le solitaire (Will Penny
de Tom Gries, 1968). Dans La Rivière rouge (photogramme du haut), Groot (Walter Brennan) est sur le point de signer son engagement à la
veille d’un périlleux voyage qui doit l’amener avec ses compagnons à convoyer
un troupeau de dix mille bêtes du Texas au Missouri. Très fier et en toute
désinvolture, Groot pose en haut du contrat sa signature, qui s’avère être une
croix. Son analphabétisme est revendiqué, sans fard ni complexe. Plus bas, Will
Penny (Charlton Heston dans un de ses meilleurs rôles) est un autre cow-boy
convoyant du bétail quelque part dans les Grandes Plaines de l’Ouest. Pour
toucher son salaire de misère, il reproduit le même geste, mais cette fois-ci
de manière honteuse. De sa main gauche gantée, il tente de cacher la même croix
qui vient marquer ce paraphe déshonorant.
Entre les deux films, vingt années d’évolution
du genre qui a délaissé l’épopée héroïque de la Conquête de l’Ouest pour filmer
le quotidien d’un groupe de cow-boys plus en phase avec la réalité de la
deuxième moitié du XIXe siècle. En effet, La
Rivière rouge est un western classique qui mythifie la naissance d’une
nation. Ces cow-boys s’apprêtent à affronter un environnement hostile, aride
avec un idéal de conquérant. L’espace est encore vierge, la loi reste absente
et les outlaws écument toujours les pistes. C’est le caractère d’un homme qui prime
et non son éducation. Avec Will Penny, le
solitaire, le mythe de l’Ouest s’est effondré sous les coups de boutoirs de
réalisateurs comme Arthur Penn, Richard Brooks ou Sam Peckinpah qui montrent
l’Ouest tel qu’il était, loin des hagiographies du passé. Le cow-boy n’est plus
ce centaure galopant à travers les
plaines, affrontant les rivières en crue, les tempêtes de sable ou les Indiens
forcément hostiles mais un homme seul, pauvre, sans domicile fixe, sans attaches.
Ces caractéristiques qui passaient pour les éléments constitutifs de la liberté
ont fini par se retourner contre lui. L’analphabétisme de Will est le symbole
de sa précarité et de sa marginalité. Dans
la réalité, les cow-boys étaient au bas de l’échelle sociale, rarement
propriétaires et toujours sous les ordres d’un cattle baron. Les soubresauts de la société américaine des années
60-70 (droits civiques des minorités, critique de la guerre du Vietnam,
manifestations contre la société de consommation) poussent à la destruction du
mythe qui a fondé l’Amérique. En 1968, l’heure n’est plus à la glorification
des cow-boys indomptables et vertueux menant leurs transhumances héroïques, mais
à l’évocation des conditions de vie difficiles de ces hommes qui sont
subitement mis à nu. L’Ouest, autrefois mythique, s’apparente désormais à un
paradis perdu.
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