dimanche 13 mars 2016

L’analphabétisme chez Howard Hawks et Tom Gries


Vingt ans séparent La Rivière rouge (Red river de Howard Hawks, 1948)  de Will Penny, le solitaire (Will Penny de Tom Gries, 1968). Dans La Rivière rouge (photogramme du haut), Groot (Walter Brennan) est sur le point de signer son engagement à la veille d’un périlleux voyage qui doit l’amener avec ses compagnons à convoyer un troupeau de dix mille bêtes du Texas au Missouri. Très fier et en toute désinvolture, Groot pose en haut du contrat sa signature, qui s’avère être une croix. Son analphabétisme est revendiqué, sans fard ni complexe. Plus bas, Will Penny (Charlton Heston dans un de ses meilleurs rôles) est un autre cow-boy convoyant du bétail quelque part dans les Grandes Plaines de l’Ouest. Pour toucher son salaire de misère, il reproduit le même geste, mais cette fois-ci de manière honteuse. De sa main gauche gantée, il tente de cacher la même croix qui vient marquer ce paraphe déshonorant.
 Entre les deux films, vingt années d’évolution du genre qui a délaissé l’épopée héroïque de la Conquête de l’Ouest pour filmer le quotidien d’un groupe de cow-boys plus en phase avec la réalité de la deuxième moitié du XIXe siècle. En effet, La Rivière rouge est un western classique qui mythifie la naissance d’une nation. Ces cow-boys s’apprêtent à affronter un environnement hostile, aride avec un idéal de conquérant. L’espace est encore vierge, la loi reste absente et les outlaws écument toujours les pistes. C’est le caractère d’un homme qui prime et non son éducation. Avec Will Penny, le solitaire, le mythe de l’Ouest s’est effondré sous les coups de boutoirs de réalisateurs comme Arthur Penn, Richard Brooks ou Sam Peckinpah qui montrent l’Ouest tel qu’il était, loin des hagiographies du passé. Le cow-boy n’est plus ce centaure  galopant à travers les plaines, affrontant les rivières en crue, les tempêtes de sable ou les Indiens forcément hostiles mais un homme seul, pauvre, sans domicile fixe, sans attaches. Ces caractéristiques qui passaient pour les éléments constitutifs de la liberté ont fini par se retourner contre lui. L’analphabétisme de Will est le symbole de sa  précarité et de sa marginalité. Dans la réalité, les cow-boys étaient au bas de l’échelle sociale, rarement propriétaires et toujours sous les ordres d’un cattle baron. Les soubresauts de la société américaine des années 60-70 (droits civiques des minorités, critique de la guerre du Vietnam, manifestations contre la société de consommation) poussent à la destruction du mythe qui a fondé l’Amérique. En 1968, l’heure n’est plus à la glorification des cow-boys indomptables et vertueux menant leurs transhumances héroïques, mais à l’évocation des conditions de vie difficiles de ces hommes qui sont subitement mis à nu. L’Ouest, autrefois mythique, s’apparente désormais à un paradis perdu.






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