Dans
Carol de Todd Haynes (2015),Thérèse
(Rooney Mara) et Carol (Cate Blanchett)
se rencontrent pour la première fois dans un grand magasin à Manhattan à la
veille de Noël. La première est une jeune vendeuse timide et très impressionnée
par cette grande dame vêtue d’un manteau de fourrure mais dont le timbre de
voix révèle une fêlure intérieure et une fragilité masquées par son statut
social. Carol est là pour acheter une poupée à sa fille et son regard croise,
entre les nombreux acheteurs qui se pressent autour des rayons, celui de
Thérèse. Cet échange visuel croisé et
fugitif va pourtant signifier le début d’une histoire d’amour entre ces deux
femmes que tout sépare (l’âge et la condition sociale). L’intensité du regard
que chacune porte à l’autre et la beauté intériorisée des sentiments tranchent
avec le badinage consumériste auquel se livrent dans un premier temps, Carol et
Thérèse. Puis, imperceptiblement, Carol questionne Thérèse sur ses goûts de
petite fille, lui montre une photo de sa propre fille, finit par lui commander
un train électrique, prétexte tout trouvé pour laisser son adresse sur le bon
de commande. Les gants, ostensiblement abandonnés sur le comptoir serviront,
après le départ de Carol, de prétexte à Thérèse pour justifier une nouvelle
rencontre. Le monde autour d’elles a cessé de tourner; les autres vendeurs et
les clients se fondent dans la profondeur de champ, insensibles ou indifférents
à cette tranche de vie, à cette étincelle qui marquera définitivement les deux
protagonistes. Les yeux des deux femmes soulignent ce que les corps ne peuvent
exprimer au grand jour dans cette Amérique du début des années 50, puritaine et
maccarthyste. En digne héritier de Douglas Sirk et de ses mélodrames - Tout ce que le ciel permet (All that heaven allows, 1955), Écrit sur du
vent, (Written on the wind, 1956)
- Todd Haynes filme des personnages qui se veulent libres en dépit des
conventions sociales écrasantes et mutilatrices, responsables de leurs pensées, de leurs actions - Carol est en train de divorcer et Thérèse refuse les
avances de Richard -, et déterminés à unir leurs trajectoires irréversibles. Dans
cet univers bien ordonné du grand magasin, de part et
d’autre du comptoir figurant le premier et ultime obstacle séparant pour
l’instant Carol et Thérèse, tout est en place pour que les sentiments puissent
éclore et finalement exulter. Le hasard (?) de cette rencontre fortuite
déclenchera les rebondissements à venir de ce mélodrame qui s’inscrit dans la
continuité d’un autre film de Todd Haynes, Loin
du paradis/Far from heaven, 2002,
dans lequel le réalisateur avait déjà mis en scène l’amour mais cette fois-ci homosexuel.
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