En
dépit des années, l’épilogue de Freaks
(1932) garde toute sa puissance ténébreuse. Ce film oppose, au sein d’un cirque
ambulant, Hercule (Henry Victor) dont la fonction est de faire l’étalage de ses
muscles en terrassant des taureaux, aux Freaks, ces hommes et ces femmes
lourdement handicapés dès la naissance (certains n’ont pas de jambes, pas de
bras ou les deux à la fois) et voués à être des objets de foire, exhibés à
l’extérieur du chapiteau, au voyeurisme malsain des spectateurs. La force du
film vient du fait que ces Freaks jouent leur propre rôle. Ni maquillage, ni
trucage. Ils sont la représentation de l’envers de la condition humaine que le
public de l’époque n’a pas voulu voir. Mais la «monstruosité» n’est pas là où
on l’attend. Hercule (au premier plan, photogrammes de droite) est un géant,
une force de la nature mais à l’âme noire et amorale alors que les Freaks,
physiquement diminués, témoignent d’une humanité et d’une solidarité exemplaires. Moqués, humiliés, battus par Hercule, les
Freaks tiennent enfin leur vengeance. Le taureau est sur le point d’être
terrassé ; il vient de recevoir un coup de couteau dans le flanc et rampe en
arrière avec difficulté face à la meute qui sonne l’hallali. Pour la première
fois de sa vie, Hercule est à la hauteur des Freaks. La caméra est au ras du
sol cadrant successivement le champ et le contrechamp de la séquence. La nuit
est profonde, un orage fait rage, ses éclairs zébrant à intervalles irréguliers
l’obscurité. Les visages menaçants des Freaks s’opposent à la panique qui
déforme le visage d’Hercule qui n’est plus qu’une bête traquée dans cette
descente aux enfers. La boue macule les vêtements détrempés et seuls les Freaks
semblent évoluer avec facilité dans l’encerclement de leur proie. La catharsis,
cette épuration des passions, est à l’œuvre. La séquence est cauchemardesque et
plonge les personnages dans la nuit qui engloutira Hercule. Ce film maudit à
l’origine est depuis devenu un classique qui marque la mémoire de manière
indélébile.
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