Dans Délivrance (1972), John Boorman nous entraîne dans une odyssée qui
nous a été présentée en préambule comme bucolique et récréative pour nous
plonger progressivement dans un cauchemar aquatique et sylvestre et dans un véritable choc frontal contre l'idéologie écologiste.
Quatre citadins décident, le temps d’un week-end, de descendre en canoë une
rivière dans les Appalaches avant que celle-ci et ses rives ne soient
complétement immergées par les eaux d’un barrage construit en aval.
Mais rien ne se passe comme prévu. Une nature finalement hostile, des rapides
rugissants, des chasseurs inquiétants et violents finissent par décimer le groupe qui avait lancé à cet espace encore indompté
un défi. Suivant très fidèlement la trame du livre de James Dickey (1), John
Boorman est l’anti-Henry David Thoreau, ce naturaliste, poète et philosophe
américain (1817-1862) qui prônait de
manière romantique le retour à la nature. C’est l’Amérique des premiers
pionniers et des premiers explorateurs qui défile au début du film. Les quatre
hommes jouent aux trappeurs et aux Indiens. Mais ici, la nature et ses
occupants se transforment en piège mortel. Ed Gentry (Jon Voight), à l’instar
de ses camarades, est persuadé que des chasseurs les poursuivent depuis qu’ils
ont tué l’un deux qui avait violé Bobby (Ned Betty), un autre membre du groupe.
Pagayant en toute hâte, ils se retrouvent coincés en contrebas des rapides à la
suite d’un coup de feu qu’ils pensent avoir entendu. Ed escalade la falaise, muni
de son arc, pour surprendre le ou les chasseurs. Et au petit matin, un homme se
présente en effet dans l’arrière-plan du cadre. Il se découpe nettement sur un
promontoire et regarde attentivement la rivière, le fusil coincé sous le bras. Ed,
faisant littéralement corps avec la paroi rocheuse, ajuste une flèche à son
arc. La distance qui sépare le chasseur d’Ed établit alors la tension entre ces
deux pôles dramatiques. Un retour aux forces obscures, barbares générées par le
sentiment d’urgence vitale envahit alors Ed. Toute notion de civilisation a
disparu, la nature, sauvage et inhumaine a repris ses droits et lui impose de
tuer pour ne pas être tué. C’est la notion même de l’être civilisé qui est
battue en brèche, l’instinct de survie primant sur tout le reste. L’arc
matérialisait pour Ed ce retour aux premiers peuples qui occupaient les
États-Unis avant la conquête, mais aussi ce défi qu’il s’était lancé à lui-même
en acceptant ce périple en canoë. À présent, cette arme n’est plus que le
vecteur du réveil de sa propre animalité.
(1) Délivrance de James Dickey aux Éditions
Gallmeister (2013)
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