Ce générique du Grand Couteau (The Big Knife, Robert Aldrich, 1955) est l’œuvre du génial Saul
Bass. Ce graphiste américain est le créateur de dizaines de génériques, tous
plus superbes les uns que les autres (Psychose,
la Mort aux trousses, Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, L’Homme aux bras d’or, Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger
ou encore Les Nerfs à vif et Casino de Martin Scorsese). Ils forment
tous un film dans le film et donnent, de manière narrative et figurative, un
résumé des scénarios mis en scène. Ici, Le
Grand Couteau est une nouvelle
incursion dans le monde impitoyable du cinéma hollywoodien et une mise en abîme
équivalente à celle de Sunset Boulevard ( Billy Wilder, 1950). Charlie Castle (Jack Palance, sublime !) est un acteur qui
se trouve à la veille de la reconduction de son contrat détenu par le
producteur Stanley Hoff (Rod Steiger, non moins sublime !). Charlie cherche à
reprendre sa liberté de création mais se retrouve piégé par un chantage que
Hoff exerce sur lui. Le générique s’ouvre sur un plan rapproché épaule, cadrant
Charlie, tête baissée. Le fond est noir, impénétrable. Puis, progressivement,
Charlie se prend la tête entre les mains, manifestant une souffrance intérieure
insoutenable, une dépression qui finira par déchirer son cerveau – mais aussi l’écran - en le faisant
éclater, comme autant de brisures, en mille morceaux. En quelques minutes, Saul
Bass épouse le point de vue de Robert Aldrich sur Hollywood : l’usine à
rêves détruit les êtres qui veulent s’émanciper de sa tutelle. Le contrat
faustien que doit signer Charlie n’est rien d’autre qu’une soumission aux
directives d’un producteur tyrannique qui a droit de vie et de mort sur lui. Le
visage torturé de Charlie menace de disparaître au bas de l’écran comme poussé
par des forces qui le submergent. L’homme est nu, sans défense, enveloppé par
l’obscurité environnante. Les déchirures sont autant de signes d’enfermement
qui rendent ses velléités d’indépendance dérisoires.
Rejeté par
Hollywood, Robert Aldrich est un cinéaste extrêmement critique vis-à-vis de
l’industrie cinématographique. Qu’est-il arrivé à Baby
Jane ?/What ever happened to Baby Jane ? (1962),
Le Démon des femmes/The Legend of Lylah Clare (1968) et Faut-il tuer Sister George/The Killing of Sister George (1968), seront
autant de témoignages amers, désabusés, voire désespérés sur le milieu du
spectacle qui broie impitoyablement – sous le soleil californien - les
individus préférant les chemins de traverse. Charlie Castle et Robert Aldrich
ne font qu’un.
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