Les
Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964) est l’antépénultième
film de John Ford. Il passe pour être le film pro-indien le plus affirmé du
réalisateur à une époque de renaissance de l’identité indienne à la ville comme
à l’écran. John Ford n’a jamais été le tueur d’Indiens que les aveugles ont
bien voulu voir: Le Massacre de Fort Apache/Fort Apache (1948) avait déjà
dénoncé la spoliation des terres indiennes,
La Prisonnière du désert/The
Searchers (1956) avait renvoyé dos-à-dos le racisme d’Ethan Edwards et
celui du chef comanche Scar, et Les Deux
Cavaliers/Two Rode together (1961) stigmatisait des colons ivres de haine à
l’égard des Indiens. Les Cheyennes raconte
l’odyssée d’une tribu cheyenne qui décide de quitter une réserve aride de l’Oklahoma
(à Monument Valley !) pour rejoindre, au prix de très rudes épreuves, ses
terres ancestrales du Wyoming. Deborah Wright (Carroll Baker), une institutrice
quaker, chargée de scolariser les petits Indiens, choisit de les accompagner
dans ce voyage. Elle se trouve ici (photogramme du haut) entourée par des
élèves de sa classe récitant l’alphabet et (photogramme du bas, hors-champ)
dans l’école, face au capitaine Thomas Archer (Richard Widmark). Derrière lui,
un tableau noir montre, bien découpées à la craie blanche, les lettres de
l’alphabet et des mots anglais traduits de ce que nous supposons être la langue
cheyenne. L’humanisme de John Ford trouve ici ses limites. Il a la plus grande
des compassions pour cette tribu, mais celle-ci n’a pas d’autre choix que de
s’acculturer à la civilisation blanche dominante. En toute bonne conscience,
l’institutrice est le premier instrument de l’assimilation forcée des Indiens.
« Tuez l’Indien, pour sauver l’homme» disait en 1892, le capitaine Pratt en
fondant la première école indienne de Carlisle en Pennsylvanie. Coupés de leurs
familles, des milliers d’enfants furent ainsi forcés, à la fin du XIXe siècle,
à désapprendre leurs langues, à oublier leurs coutumes et leurs croyances pour
mieux être soumis à l’autorité blanche. L’alphabet latin matérialise et
préfigure donc la disparition de tout ce qui caractérise la civilisation
indienne. Le tableau noir de la salle de classe enfonce le clou. Sous la lettre
x , est écrit le nom propre Washington et sa traduction en cheyenne. Deborah
Wright est encore une fois le vecteur inconscient de la puissance politique américaine.
Elle montre bien par ces mots qu’un pouvoir supérieur incarné à la Maison
Blanche, a désormais en main la destinée de tous les peuples indiens aux
États-Unis. Le fait que Deborah Wright soit une quaker (les quakers refusent
l’emploi de la violence) renforce la contradiction de son action éducative,
véritable arme de destruction massive pour cette tribu cheyenne qui cherche par
tous les moyens à survivre et à exister.
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