L’action se passe dans les
Rocheuses au sein de ce qui n’est pas encore le Colorado, au tournant des
années 1850. Dans Jeremiah Johnson
(1972), Sydney Pollack nous présente un personnage inoubliable par sa morgue et
son mépris incommensurables vis-à-vis de tout ce qui touche la nature et les
Indiens qui l’occupent. Le révérend Lindquist (Paul Benedict, à cheval face à
la caméra) accompagne un groupe de soldats américains à la recherche de
chariots de colons coincés dans la montagne et menacés par la neige et les
Indiens hostiles. Ce petit détachement fait une halte devant la maison que
Jeremiah Johnson (Robert Redford) a construite. Celui-ci, lassé des hommes et
de leurs tueries, a décidé de fuir la civilisation pour vivre en mountain man, au contact d’une nature
encore sauvage et préservée de la colonisation blanche. L’officier (Jack
Colvin, à droite du premier photogramme) lui demande de leur servir de guide dans cette
contrée qu’ils maîtrisent mal.
C’est seulement après la défaite
du Mexique en 1848 et le traité de Guadalupe Hidalgo, que le Colorado passe
sous l’influence américaine. Cette petite troupe marque l’intrusion et la
mainmise progressive de l’armée américaine
sur ce territoire. Le révérend est l’incarnation de cette marche en
avant devant se faire au mépris des premiers occupants qui ne peuvent être que
des obstacles à éradiquer. Un mouchoir constamment plaqué sur sa bouche, comme
s’il ne pouvait supporter de respirer l’air environnant, Lindquist affiche immédiatement
cette arrogance et cette suffisance caractéristiques de ces évangélisateurs qui
ne voyaient dans les Indiens que de pauvres hères ignorants de la foi
chrétienne et qu’il fallait coûte que coûte intégrer – au mieux – voire
éliminer s’ils se montraient rétifs à cette conversion. Mâchoire en avant, tout
de noir vêtu, le révérend et son bout d’étoffe profanent et souillent ces
montagnes majestueuses habillées de silence et de contemplation. Jeremiah
Johnson aurait pu à ce moment faire siennes les paroles prononcées par un autre
mountain man rencontré plus tôt et
disant à propos des Rocheuses; « Ici,
sont les plus belles sculptures de Dieu. Il n’y a pas de loi pour les braves,
pas d’asile pour les fous, pas d’église, exceptée celle-là, pas de prêtres,
sauf les oiseaux. Je suis un homme des montagnes....». Mais Sydney Pollack
nous dit également que cette intrusion militaro-chrétienne marque aussi le
début de la fin des espaces encore vierges de l’Ouest américain. Frederic
Jackson Turner, un historien américain, avait théorisé en 1893 - à postériori
donc - la notion de Frontière. Celle-ci
représentait une limite mouvante, un front pionnier, sans cesse en mouvement
d’est en ouest, opposant un monde civilisé à un monde sauvage. Cet espace,
conquis de haute lutte par les pionniers dotés d’une volonté farouche et d’un
esprit d’initiative hors du commun, a forgé l’identité et la société
américaines pour devenir un véritable mythe sur lequel s’appuient aujourd’hui
encore les États-Unis. Jeremiah Johnson ne sait pas encore que cette
civilisation qu’il a fuie est en train de le rattraper. Le révérend Lindquist
n’est que le symptôme de la Destinée
manifeste, cette idéologie apparue en 1845 dans un article du journaliste
new-yorkais John O’Sullivan, évoquant l’idée que le peuple américain avait pour
mission divine de répandre la civilisation à l’ouest du Mississippi. Ce
messianisme et cette justification de la domination à venir d’un immense
territoire se feront sur le dos des tribus indiennes. Les Crows, les Blackfeet
et les Flatheads vivent à cet instant, leurs derniers feux.
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