Je ne suis pas loin de penser que Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995) est
le plus grand film de Clint Eastwood. Il s’agit d’une oeuvre dotée d’un
équilibre et d’une sensibilité qui confinent à la perfection. Robert Kincaid
(Clint Eastwood, à l’opposé de son personnage de dur) rencontre fortuitement
Francesca Johnson (Meryl Streep, dans ce qui est probablement son meilleur
rôle). Alors que tout les sépare (lui est photographe en tournée en
Illinois pour photographier les ponts couverts du comté de Madison et elle, est
fermière, mariée, avec deux enfants), une histoire d’amour fulgurante et
dévastatrice va naître de l’improbable et de l’imprévu. Profitant d’une absence
de quatre jours de sa famille, Francesca va progressivement laisser libre court
à des sentiments réciproques et vivre de
manière absolue et entière un amour d’autant plus fort qu’il semble voué à
n’être qu’éphémère. Francesca n’arrivera pas à se résoudre à quitter sa famille
pour suivre Robert.
Venu de nulle part, comme tant de
personnages incarnés par Clint Eastwood (L’Homme
des hautes plaines, 1973), Pale Rider, 1985), Robert est ici, sous une pluie torrentielle, la mort dans l’âme, prêt
à repartir vers un ailleurs hypothétique. Il se retrouve, une dernière fois, face
à Francesca qui se trouve hors-champ dans une voiture aux côtés de son mari.
Trempé jusqu’aux os, ignorant la pluie qui le transperce, Robert fait quelques
pas sur la route détrempée pour adresser un dernier adieu silencieux à celle
qu’il a aimée passionnément. La boucle est bouclée dans une atmosphère de
désolation; Robert est seul, désespérément seul, déchiré par cet amour
clandestin qui ne sera révélé aux enfants de Francesca qu’après le décès des
deux amants. Sans grandes envolées lyriques, Clint Eastwood donne à son
personnage une dimension tout à la fois tragique et mélancolique, refusant de
croire que ces quatre jours ne seraient finalement qu’une parenthèse dans sa
vie. Cette mise à nu exacerbée des sentiments, et cette volonté farouche de
suspendre le temps encore quelques secondes, rendent imparfait ce présent qui
ne vit plus que par le passé. Depuis Les
Proies (The Beguiled de Donald
Siegel, 1970), Clint Eastwood a lentement mais sûrement cassé son image de dur,
héritée de ses personnages de l’Homme
sans nom dans les westerns de Sergio Leone ou de celle de Dirty Harry qui lui
ont longtemps collé à la peau. Dans Sur
la route de Madison, il montre qu’il est bien un très grand réalisateur
doté d’une sensibilité à fleur de peau que
l’on retrouvera dans Million Dollar Baby (2004)
ou L’Échange (Changeling, 2008).
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