David Fincher a dû,
indubitablement, tourner Seven (1995)
sous anxyolytiques. Son film dégage une odeur de putréfaction et de sauvagerie
imprégnant un paysage urbain indéterminé pratiquement constamment noyé sous une
pluie diluvienne. Deux inspecteurs de police, David Mills (Brad Pitt, à son
meilleur) et William Somerset (Morgan Freeman, aussi sobre que fascinant) sont
sur les traces d’un psycho killer qui
organise des meurtres en série en fonction des sept péchés capitaux définis par
Saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Parvenus à identifier le domicile du
tueur, les deux inspecteurs se retrouvent devant la porte de l’appartement,
lorsqu’arrive son propriétaire. Une course-poursuite s’enclenche alors
immédiatement entre les trois hommes qui s’achèvera aux côtés d’un camion à
ordures, dans une ruelle gorgée d’eau. Mills, se fait surprendre par un coup
sur la tête qui le jette à terre. Le tueur, qui s’était caché sur le toit du camion,
lui pose alors le canon de son revolver sur la tempe mais renonce à presser sur
la détente et choisit de s’enfuir. D’une noirceur totale, la séquence exhale un
désespoir qui nous dit que la décomposition de l’humanité ne peut survivre à
cette jungle urbaine. David Fincher filme Mills, trempé jusqu’aux os, tentant
de se relever avec difficulté alors qu’apparaît à l’arrière-plan son collègue
Somerset. La benne à ordures occupant la moitié de l’image et les deux murs à
gauche et à l’arrière-plan enferment l’inspecteur, dont le corps et le visage ensanglanté se confondent avec les
poubelles. Ce milieu quasiment aquatique submerge tous les protagonistes de
l’histoire et brouille la perception qu’ont les deux inspecteurs du tueur. Dans
ce nouveau Déluge, John Doe (le tueur non-identifié) se joue de Mills pour mieux poursuivre son
œuvre criminelle et anéantir cette humanité corrompue par le vice et le péché. Somerset
arrive sur les lieux trop tard et Mills ne doit son salut qu’à une mansuétude
du serial killer aussi providentielle
qu’inattendue. Avec ses ruelles transformées en coupe-gorge, ses murs lépreux
et son bitume spongieux, la ville est bien le berceau du mal, mais ici, nul Noé
pour assurer la pérennité de l’espèce humaine. La ville a toujours été un
espace géographique indissociable du film noir (Les Forbans de la nuit/Night
and the City de Jules Dassin, 1950). Elle est ce monstre tentaculaire, siège
de toutes les bassesses humaines, de toutes les corruptions qui abrite en son
sein des espaces interlopes (les bas-fonds
mais aussi les beaux quartiers contaminés par le crime comme dans Quand la ville dort/Asphalt Jungle de John Huston, 1950). David Fincher pousse cette
représentation à son paroxysme; les rues et les immeubles traduisent
l’enfermement et le cloisonnement, accentués par les trombes d’eau qui menacent
d’engloutir à tout moment les téméraires qui osent braver le monde extérieur.
Ce monde effrayant et nihiliste ne laisse pas de place au hasard. L’inspecteur
Mills est prédestiné à être un rouage essentiel de l’entreprise terrifiante du
tueur, et aucun des deux inspecteurs ne sera en mesure de stopper sa mécanique
froide et sanglante.
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