Dans Le Carrefour de la mort (Kiss
of Death, 1947) et bien avant Norman Bates, Hannibal Lecter ou encore le
Joker, Henry Hathaway met en scène un psychopathe de grande envergure (Richard
Widmark, sublime dans son premier rôle au cinéma). Tommy Udo est un tueur à
gages qui a l’habitude «d’éparpiller par petits bouts, façon puzzle» tout ce
qui passe à sa portée, y compris les mamies en fauteuil roulant. Chargé
d’assassiner Nick Bianco (Victor Mature) qui a eu le tort de balancer des
complices après l’échec d’un hold-up, le dénommé Udo se rend chez le mouchard,
mais ne trouve que sa mère. Aussitôt dit, aussitôt fait, il précipite dans
l’escalier l’infortunée paralysée. Juste pour rire. Udo est l’un des affreux
les plus grandioses de l’histoire du cinéma. Pas moins. Doté d’un rire sardonique
de hyène qui secoue régulièrement son grand corps osseux, il exprime une rare
démence, doublée d’un sadisme à toute épreuve. Chaque apparition du tueur est
une ponctuation synonyme d’une brusque montée de tension. Filmé en contre-plongée, « habillé en costume ample,
avec cravate blanche (?) sur chemise noire et un feutre de la taille d’un
abat-jour » (1), arc-bouté au dossier du fauteuil roulant avec un sourire
démoniaque aux lèvres, Udo n’a pas une seconde d’hésitation. La vieille dame
est déjà en train de hurler et fixe de manière hallucinée cet escalier qui
apparaît soudainement vertigineux. Henry Hathaway ne donne aucune explication à
ce geste, sinon la gratuité odieuse de faire le mal pour le mal. «Plus réussi
est le méchant, plus réussi sera le film» disait Alfred Hitchcock en grand
connaisseur. Comme souvent dans le film noir, la caméra est peu mobile et le
mouvement est consubstantiel aux éléments du cadre; deux personnages et un
fauteuil roulant. Le mur nu à l’arrière découpe parfaitement cette scène
mortifère. Ce type de tueur est indissociable de la mythologie du film noir, au
même titre que les figures de la femme fatale, du détective privé ou du flic
corrompu. L’absence intégrale d’humanité et le réalisme du personnage d’Udo
donnent une image inquiétante et sombre au film. À l’inverse du tueur calme,
posé et quasi-angélique, incarné par Alan Ladd dans Tueur à gages (This Gun for
Hire) de Frank Tuttle en 1942, Richard Widmark habille son personnage d’une
nervosité criminelle et d’une hystérie qu’il développera, mais avec cette
fois-ci une dimension tragique, dans Les
Forbans de la nuit (Night and the
City) de Jules Dassin en 1950. C’est dans le rôle d’Harry Fabian, cette petite frappe
pathétique voulant par tous les moyens s’élever dans la hiérarchie sociale,
qu’il donnera toute la mesure de son
immense talent.
(1) Dark City, le monde perdu du film noir d’ Eddie Muller aux Éditions
Rivages, 2015 p.335
Richard Widmark
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