Un plan-séquence est un plan long
filmé sans coupure et monté tel quel. Brian De Palma est l’un des spécialistes
de cette virtuosité cinématographique. Blow
out, Mission impossible, Snake Eyes (un plan-séquence de 12 :5
!), Le Bûcher des Vanités, Les Incorruptibles contiennent
des morceaux de bravoure identiques au plan –séquence de l’Impasse (Carlito’s Way, 1993).
Celui-ci fait 2 :20 et présente une unité de temps et de lieu, la gare de
New-York, le Grand Central Terminal,
située au cœur de Manhattan. Carlito Brigante (Al Pacino, toujours aussi
renversant) ayant participé, à son corps défendant au meurtre d’un parrain de la mafia, Tony
Taglialucci, est poursuivi par le fils
de Tony, Vinnie Taglialucci. Ce dernier, secondé par trois comparses, veut
venger la mort de son père. La traque, menée à un rythme infernal, passe du
métro new-yorkais au gigantesque hall du Grand
Central Terminal. Ce plan-séquence ne représente qu’une partie de cette
poursuite qui s’achèvera sur l’un des quais de la gare. L’ensemble dure une
vingtaine de minutes. L’avantage du plan-séquence est de présenter l’action en
temps réel. La caméra gravite autour de Carlito qui utilise le premier étage de
la gare pour échapper aux regards de ses poursuivants. Une véritable
chorégraphie, englobant très souvent Carlito et ses poursuivants, se met alors en
place, permettant de ne jamais relâcher la tension et la frénésie qui enveloppent
progressivement l’action. Sans cesse en mouvement, filmé par une caméra
Steadycam qui permet des prises de vues d’une fluidité particulièrement
reptilienne, Carlito évolue entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Ces
amples mouvements contredisent d’ailleurs l’espace particulièrement restreint
dans lequel évolue l’homme traqué. Celui-ci fait quasiment du surplace. L'utilisation
des travellings avants, arrières, latéraux et des panoramiques suppriment les
temps morts et donnent ainsi à Al Pacino l’occasion de livrer un numéro
d’acteur hors du commun. Ce type de plan est particulièrement virtuose parce
qu’il nécessite une parfaite coordination entre les acteurs, les techniciens et
les figurants. Brian De Palma est ici secondé par son chef-opérateur ou
directeur de la photographie, Stephen H. Burum. L’image est constamment
sinueuse, fluide et participe pleinement à l’enfermement progressif de Carlito
dans cette immense gare, que traversent, sans se douter de rien, des centaines
de voyageurs. Par ses allers-retours incessants, la caméra cadre au plus près
Al Pacino qui cherche par tous les moyens à utiliser l’escalator qui lui
permettrait d’accéder au quai pour monter dans le train salvateur. Mais cette échappatoire lui est sans cesse fermée
par la présence des membres de la mafia qui guettent sa venue. L’ampleur et l’acuité de la mise en scène sont
ici remarquables. Jusqu’à l’explosion finale.
Le plan-séquence est une figure de
style que l’on retrouve depuis les origines dans toutes les
cinématographies : L’Aurore de
Murnau (1927), Quand passent les
cigognes de Mikhaïl Kalatozov (1957), Profession :
reporter de Michelangelo Antonioni (1964), Ténèbres de Dario Argento (1982) en sont quelques exemples.
Mais, outre celui de l’Impasse,
mes trois préférés sont les deux plans-séquences du discours final du barbier
dans Le Dictateur de Charlie Chaplin
(1940) et ceux qui ouvrent La Soif du mal
d’Orson Welles (1958) et Une Histoire de
violence de David Cronenberg (2005). Ces deux derniers sont
d’une remarquable sobriété, inversement proportionnelle à la densité du propos.
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