Quatre grands rôles
ont marqué la carrière de ce prodigieux acteur de théâtre et de cinéma
britannique qu’est Peter O’Toole. Il immortalise en 1962 le personnage de T.E.
Lawrence dans le génial et indépassable Lawrence
d’Arabie (Lawrence of Arabia de
David Lean), revêt le costume du roi d’Angleterre Henri II dans Becket (Peter Glenville/1964), incarne
un officier de marine culpabilisé pour avoir abandonné son navire à la suite
d’un naufrage dans Lord Jim (Richard
Brooks/1965), et personnifie jusqu’à la démence un officier nazi sans pitié
dans La Nuit des Généraux (The Night of the Generals). Les trois
photogrammes utilisés sont extraits de ce film réalisé en 1967 par Anatole
Litvak, un réalisateur américain d’origine ukrainienne.
L’action se passe en 1944 à Paris. Après s’être
illustré avec la plus extrême violence en Russie et en Pologne, le général S.S
Tanz, débarrassé de son uniforme et revêtu d’un costume civil, entre dans le
musée du Jeu de Paume, accompagné de son chauffeur, le caporal Hartmann (Tom
Courtenay). Dans ce musée, une salle est réservée aux tableaux pillés par les
Allemands et provenant de musées parisiens ou de collections privées. Les deux
hommes déambulent devant les chefs-d’œuvre de Boucher, Renoir, Gauguin,
Toulouse-Lautrec ou Degas. En arrivant devant le tableau de Van Gogh, Autoportrait, le général Tanz s’arrête
brutalement. À sa vue, et dans un plan subjectif, il est pris de vertige, des
spasmes convulsifs agitent son œil droit, et tout son visage se contracte de
manière intense, vibrante et déchirante. Son regard perdu et son attitude
traduisent un trouble intérieur, une profonde schizophrénie qui le relie au
tableau de Van Gogh. Ce dernier matérialise le miroir de sa propre folie.
Vincent Van Gogh a peint de nombreux
autoportraits, mais celui-ci est probablement l’un des plus saisissants. Réalisé
en 1889, au moment où le peintre est interné dans l’hôpital psychiatrique de
Saint-Rémy de Provence, son visage traduit, par son regard interrogateur et
intense, le tumulte intérieur et désespéré qui l’habite à ce moment-là. Tous
ses traits, durs et anguleux, sont embrasés par les flammes tourbillonnantes
qui entourent son corps. Il émane de ce portrait une singulière détresse qui
s’exprime par un cri d’autant plus assourdissant qu’il est muet. Vincent Van
Gogh se suicidera l’année suivante. Dans
ce face-à-face entre un homme et un tableau, et de manière quasi-télépathique,
le général Tanz perçoit donc bien ce feu qui brûle la personnalité du peintre
hollandais et le reconnaît comme son alter ego. La frontière entre son
psychisme et le monde environnant est abolie. Mais cette fusion des esprits s’arrête
là, car le général Tanz est d’abord un implacable et ignoble officier nazi,
capable d’ordonner la destruction de tout un quartier de Varsovie au
lance-flammes et d’assassiner des prostituées au cours de ses escapades nocturnes.
L’abîme de démence qui le submerge et le tétanise amplifie un autre point de
rupture en préparation puisque cette visite au musée se déroule le 18 juillet
1944, soit deux jours avant la tentative d’assassinat contre Hitler par une
partie de l’état-major de l’armée allemande. Peter O’Toole donne une
interprétation saisissante et d’une noirceur vertigineuse de cet officier nazi,
monstre froid et raide, incapable de ressentir la moindre empathie envers ses
semblables et enfermé dans une logique mortifère et destructrice.
Le major Grau (Omar Sharif) et le général Tanz (Peter O'Toole)
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