Hell or High Water (2016), du
réalisateur britannique David Mackenzie, devait s’intituler Comancheria mais seule la version
distribuée en France a gardé ce titre sublimement évocateur. Il s’agit d’un
territoire à cheval sur l’est du Nouveau-Mexique, l’ouest du Texas et de
l’Oklahoma, le sud du Colorado et du Kansas, sillonné par les cavaliers
comanches jusqu’en 1860. Constituée de plaines et de plateaux dans sa plus
grande partie, la Comancheria est dotée dans sa partie occidentale d’un climat
semi-aride et d’une prairie qui se dégrade progressivement pour laisser la
place à des formations herbeuses plus rases. C’est donc à la frontière entre le
Nouveau-Mexique et le Texas que se situe l’action du film et particulièrement
le plan qui nous intéresse ici. Deux frères, Toby (Chris Pine) et Tanner Howard
(Ben Foster), pour éviter la saisie de leur maison familiale par une banque, la
Texas Midlands Bank, décident de la braquer pour rembourser le prêt qu’elle
avait accordé à leur mère, décédée depuis quelques jours. C’est ce que l’on
appelle une circulation monétaire bien organisée. La scène se situe quelque
part entre l’univers de Stephen Frears (Hi-Lo
Country/1999) et celui des frères Coen (No
Country for Old Men/2007). Chez Stephen Frears, Big Boy (Woody Harrelson)
et Pete (Billy Crudup), deux cow-boys en rupture de front, étaient incapables
de s’adapter après 1945 au nouveau contexte économique dominé par les gros
éleveurs cherchant à absorber les petits élevages et leurs propriétaires. Dans
le film de Mackenzie, Toby et Tanner sont aujourd’hui les laissés-pour-compte
de la croissance américaine, ceux qui ont été laminés par la crise bancaire de
2008 et qui sont étranglés et lessivés par des prêts dont les taux d’intérêt
ont explosé. Les gros éleveurs ont été remplacés par de nouveaux prédateurs
bien plus dangereux : les banquiers. Au-dessus de leur ranch, les nuages
uniformes et épais forment une voûte qui s’apprête à se déchirer pour déverser
des trombes d’eau sur un paysage désolé. Toby est debout à gauche et Tanner est
assis à droite à l’arrière d’un pick-up qui semble avoir autant de miles à son
compteur qu’il y a de néons sur Times Square. À droite, une masure menace de
tomber en ruine, et à l’arrière une éolienne de pompage pour puiser l’eau
dresse son architecture de fortune vers le ciel. À l’arrière-plan, quelques
arbres accentuent la pigmentation verte du champ chromatique qui domine la
scène. La couleur verte de leurs vêtements, associée à l’herbe, enracinent les
deux frères dans un espace géographique et socio-économique qui menace à tout
moment de les submerger. Silencieux, les deux hommes regardent, droit devant
eux, ces étendues herbeuses qu’aucun obstacle ne vient perturber, à l’exception
de ces barbelés qui matérialisent l’impossibilité d’accéder au rêve américain. La
désolation est omniprésente dans cette partie des États-Unis oubliée de tous,
ou presque, et qui meurt à petit feu, faute d’espérance économique et de
dynamisme démographique. Pris en chasse par deux policiers texans, Marcus (Jeff
Bridges) et Alberto (Gil Birmingham), Toby et Tanner traversent des bourgs
sinistrés par la crise mais qui continuent de proclamer avec candeur, via des
panneaux publicitaires au bord de la route, comment gagner de l’argent
rapidement (Fast check) et comment
payer ses dettes. Dans ce Texas ou les armes à feu sont plus nombreuses que les
hommes qui le peuplent, la violence est souvent la réponse au désespoir de la
part d’individus qui n’ont plus à rien à perdre. Ce néo-polar westernien survitaminé
et doté néanmoins d’un humour qu’une autre fratrie ne désavouerait pas, celle
des frères Coen, est superbe !
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