Cette attaque d’une
diligence filmée en 1939 par John Ford (La
Chevauchée fantastique/Stagecoach) est un modèle du genre. Elle n’a jamais
été surpassée. Certains ont tenté la gageure de chevaucher sur les traces du
maître, comme Gordon Douglas dans La
Diligence vers l’Ouest (Stagecoach/1966), mais en vain. Seul Arthur Penn
dans Little Big Man (1970) et sur un
mode parodique réussit à rendre hommage à cette dramaturgie équestre et humaine
filmée dans le désert de Mojave en Californie. L’essentiel du film est tourné dans
ce qui deviendra l’espace cinégénique westernien et fordien par excellence,
Monument Valley, à la frontière entre l’Arizona et l’Utah.
La séquence dure huit
minutes et quarante-huit secondes. Notre diligence a quitté Tonto (Arizona) depuis
plusieurs jours pour rejoindre Lordsburg (Nouveau-Mexique) quand elle se fait
attaquer par des Apaches (joués par des Navajos) forcément hostiles. Microcosme
de la société américaine et îlot de la civilisation en marche, ce véhicule
hippomobile se transforme en quelques secondes en bastion retranché dans lequel
neuf hommes et femmes tentent d’échapper à la horde sauvage qui déferle sur eux
en hurlant. Sur le plan ci-dessus, seuls sont visibles de gauche à droite, le
conducteur Buck (Andy Devine) avec à ses côtés le shérif Curly (George
Bancroft), puis Dallas (Claire Trevor), une ancienne prostituée, Doc Boone
(Thomas Mitchell), un médecin alcoolique, Lucy Mallory (Louise Platt), l’épouse
d’un officier de cavalerie et, couché sur l’habitacle, Ringo Kidd (John Wayne)
un récent évadé de prison se rendant à Lordsburg pour venger le meurtre de son
père et de son frère. Curly, Doc et Ringo défendent chèrement leurs vies en
déchargeant rageusement sur les assaillants leurs Winchester, shotgun et Colt
45. À la poursuite de la diligence, les Apaches forment une multitude faisant
corps avec le paysage désertique aussi vaste que le ciel. Ils sont associés à
la nature sauvage et n’ont pas d’existence propre tout en étant représentés
comme des obstacles à la civilisation. Cette férocité justifie et légitime donc
leur éradication.
La poursuite est particulièrement spectaculaire. Les travellings latéraux traduisent la fougue de la charge menée, dans des tourbillons de poussière, par la bande de Géronimo et la caméra fixe, en partie enterrée, filme en contre-plongée les chevaux qui ont l’air de sortir littéralement de l’écran ou qui s’effondrent en désarçonnant leurs cavaliers. Mais ces mouvements de caméras et ces angles de prise de vue à forte valeur dramatique adoptent rarement le point de vue des protagonistes; c’est le regard du spectateur qui est important, plus que celui des Apaches ou des occupants de la diligence.
Pour filmer cette
séquence, comme l’a justement fait remarquer Edward Buscombe (1), Ford transgresse
allégrement la sacro-sainte règle des 180 degrés. Selon cette convention,
l’espace de n’importe quelle scène filmée se construit le long d’un axe :
la ligne des 180 degrés. Pour maintenir la cohérence entre deux sujets ayant
des liens entre eux, la caméra doit rester du même côté de l’axe. Or, Ford
passe successivement à droite et à gauche de la diligence ou des Apaches, ce
qui donne l’impression que la poursuite se fait de gauche à droite, puis de
droite à gauche. Absorbé par la dynamique de la séquence, le spectateur n’y
prête pas attention. John Ford s’en est expliqué dans un entretien accordé à
Peter Bogdanovitch (2) : « J’ai fait
cela parce que qu’il se faisait tard et que si j’étais resté du bon côté, les
chevaux auraient été à contre-jour. Je suis donc allé de l’autre côté, où la
lumière éclairait les chevaux ». Qu’importe la technique, pourvu qu’on ait l’ivresse !!
Enfin, rendons à César
ce qui est à César : cette séquence ne serait pas tout à fait ce qu’elle
est, si nous ne mentionnions pas la présence d’un cascadeur et réalisateur de
seconde équipe, Yakima Canutt. C’est lui qui supervise l’attaque de la
diligence, tout en y participant en tant que guerrier apache sautant sur l’une
des montures de tête de l’attelage et finissant abattu sous les sabots des
chevaux. De par son rythme et sa puissance, la séquence a littéralement
statufié les différents personnages pour en faire des codes répétés dans
l’histoire du genre mais qui ne lassent jamais. Là est la postérité du film.
(1) Stagecoach de Edward Buscombe, BFI Classics, The Trinity Press/1992,
p.66-67
(2) John Ford de Peter Bogdanovitch, University of California
Press/1978, p.70
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