La séquence du tricycle de Danny extraite de Shining (1980) est un terrible et
angoissant signal lumineux imprégnant la rétine pour mieux le transmettre au
cerveau du spectateur. Le petit garçon est le fils de Jack et de Wendy Torrance
(Jack Nicholson et Shelley Duvall). Le père a été recruté par la direction de
l’hôtel Overlook, au cœur des Rocheuses, pour s’occuper de la maintenance du
bâtiment pendant les longs mois d’hiver qui le coupent du reste du monde. Ce
huis clos étouffant, cette extrême solitude et les réminiscences d’un meurtre particulièrement
sanglant qui s’est déroulé plusieurs années auparavant sur les lieux mêmes,
vont avoir raison de l’équilibre fragile de Jack qui va basculer dans une schizophrénie
mortifère et anéantir la cellule familiale.
Pour rompre la monotonie de ses journées, Danny et son
tricycle arpentent les longs couloirs de l’hôtel tout en traversant de
gigantesques salles de réception. Cette exploration est filmée de manière
extrêmement fluide grâce au procédé, révolutionnaire à l’époque, de la steadycam.
Il s’agit d’une caméra reliée par un bras articulé au caméraman qui lui permet de
marcher et de courir tout en gardant une image très stable. La tyrannie des
rails sur lesquels se déplaçait jusque-là la caméra est ainsi contournée. Ces
longs travellings avant, menaçants, suggérant une présence hostile, et cette
caméra placée très bas dans un mouvement reptilien, cadrent Danny de dos pesant
frénétiquement sur les pédales de son tricycle. « Les roues résonnent sur le
plancher de bois et ronronnent sur les tapis à un rythme hypnotique » (1). Ces
tapis ont des décorations à motifs amérindiens rappelant la construction de
l’Overlook sur une sépulture indienne. Cette nouvelle profanation et ce mépris
de la mémoire accentuent l’enfermement des personnages dans cette maison hantée
par les souvenirs du passé. Cette exploration, anodine en apparence, lui permet
de parcourir tous les couloirs qui s’apparentent à un véritable labyrinthe que
l’on retrouve stylisé sur la moquette. L’exégèse abondante du film a fait du
labyrinthe une figure récurrente. Que ce soient le labyrinthe de verdure à
l’extérieur de l’Overlook, sa reproduction en miniature dans l’une des salles,
les couloirs et les figures géométriques sur le sol, sans oublier les méandres
torturés du cerveau de Jack, ce motif sert de fil conducteur à la descente aux
enfers de ce microcosme familial. Dans les deux plans, tout est net et la
profondeur de champ permet d’insister sur ces couloirs qui semblent ne pas
avoir d’issue, et qui s’articulent autour de grandes salles très éclairées,
mais qui ne résonnent plus aux pas des visiteurs. L’espace de jeu de Danny
s’apparente donc à la paranoïa de Jack, d’autant plus facilement que le petit
garçon est doté du shining : une perception extrasensorielle qui lui
permet de se projeter dans les cauchemars passés et à venir.
Le tricycle a déjà été associé à un autre scénario infernal.
Dans La Malédiction (The Omen de Richard Donner/1976), le
tricycle du fils de Satan, Damien, heurte le tabouret sur lequel se trouve sa
mère. Cette dernière est projetée par-dessus la balustrade dans une chute
mortelle. Comme dans Shining,
l’opposition entre un objet du quotidien associé à l’enfance, pas innocente du
tout, et un environnement chaotique et malfaisant fait merveille. On ne sort
pas tout à fait indemne de la vision de Shining.
(1) Shining de
Roger Luckhurst, BFI, Les classiques du cinéma, Akiléos, 2016 p.15
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